[Sérail ]: la lettre de Fousséna Djagba qui a secoué Sabine Mensah, la mère de Faure

 

Fousséna Djagba, l’influente membre du Parti National Panafricain (PNP), est décédé ce 22 mars 2021 à Accra. Dans sa lutte acharnée pour l’avènement de l’alternance sur la terre de nos aïeux, elle avait écrit une lettre ouverte à Sabine Mensah, la mère de Faure Gnassingbé en 2018. Dans cette lettre, elle demande, entre autres, en tant que mère elle aussi, à la mère de Faure Gnassingbé de raisonner son fils.

 

 

 

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Lundi, 7 Mai 2018

Lettre ouverte à Sabine Mensah, la mère de Faure Gnassingbé

Madame Sabine Mensah, raisonnez votre fils !

Madame Sabine Mensah,

J’ai longuement réfléchi quant à l’opportunité de vous écrire cette lettre. Mais dans cette atmosphère de plus en plus tendue où votre responsabilité est à interroger, je suis obligée de vous interpeller.

Je suis Foussena Djagba, fille de Laurent Djagba. Laurent Djagba était un compagnon de lutte de Sylvanus Olympio. Mon père fut député et questeur à l’assemblée nationale dans les années 1958. Il fut lâchement assassiné par votre mari Gnassingbé Eyadema, le 31 décembre 1970. À ce jour, vous ne nous avez pas encore rendu le corps de notre père. Et nous attendons toujours.

Aujourd’hui, ce n’est pas en tant que victime, mais en tant que citoyenne togolaise, préoccupée par-

la situation sociopolitique délétère de mon pays que je vous écris. Je vous écris aussi et surtout en tant que femme et mère, ayant engendré et éduqué au moins une fois dans la vie.

Il est de coutume chez nous de s’adresser à la mère en priorité lorsqu’on a un problème avec un enfant; en espérant que du fait de la complicité naturelle entre eux, la mère va rappeler son enfant à l’ordre. Madame, comme la majorité du peuple togolais, j’ai un problème avec votre fils, Faure Gnassingé, que vous avez engendré, nourri à votre sein et éduqué.

 

 

 

 

La famille à laquelle vous vous êtes mariée (votre famille donc), la famille Gnassingbé, nous a frauduleusement soustrait, l’essence de notre constitution de 1992, acquise de haute lutte et au prix de sacrifices incommensurables. Faure Gnassingbé, votre fils, est le principal bénéficiaire de ce forfait. Aujourd’hui, nous réclamons, après 12 longues années de patience, la restitution de la chose volée, c’est-à-dire le retour pur et simple à la constitution de 1992. Mais votre fils, qui s’est accommodé au fil des ans à la chose volée, s’entête à nous la rendre. Je vous écris donc pour vous exhorter à lui parler, en mère responsable, qui aime son enfant, et au-delà, qui est soucieuse de l’avenir de tous les enfants de notre pays.

 

 

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La semaine dernière, un couple ghanéen m’a invité à un dîner. Au cours du repas, mes hôtes m’ont posé des questions qui m’ont fait réfléchir en tant que femme. «Que dit au juste la mère du chef de l’Etat à son fils à propos de cette grave crise que traverse votre pays ? Je me souviens qu’enfant, lorsque je rentrais à la maison avec le jouet de mon copain du quartier, c’est ma mère qui le ramenait aux voisins et s’excusait de mon comportement. Ensuite elle m’infligeait une correction exemplaire. Pourquoi la mère de Faure Gnassingbé ne fait-elle pas usage de ce bon sens primaire pour raisonner son fils. Est-elle fière de jouir des délices d’un pouvoir usurpé par son fils ?», me questionne le mari.

Vous voilà interpellée madame. Vos qualités de bonne mère sont remises en cause. L’éducation que vous avez donnée à votre fils aussi. Car voilà maintenant 13 ans que vous jouissez du statut de « mère du chef de l’Etat », alors que vous savez au fond de vous-même que votre fils n’a jamais mérité sa place au sommet de l’Etat, mais qu’il l’a usurpé, bien aidé par cette milice tribale que vous appelez « armée ». Victor Hugo écrivait que la femme c’est l’extrême vertu. Où est votre vertu à vous, si, sans vergogne, vous acceptez et jouissez allègrement des privilèges inhérents d’un pouvoir usurpé par votre fils ?

 

 

 

Vous n’hésitez pas à exhiber et à faire état de votre foi catholique. C’est ainsi que le 28 janvier 2016, vous vous êtes rendu, avec votre fils, au Vatican auprès du Pape. Ce qui signifie que vous acceptez et défendez les préceptes enseignés par Jésus Christ lors de son passage sur terre. Quand nous revisitons le parcours de Jésus, nous pouvons résumer son action à un mot : l’amour. Voilà un mot avec lequel vous devez être très mal à l’aise. Où est l’amour, lorsque vous laissez votre fils tuer et martyriser les habitants de Sokodé, de Bafilo, de Mango et récemment d’Agoè, sous prétexte qu’ils rejettent votre famille ? Est-ce au nom de l’amour que vous laissez votre fils jeter en prison des innocents qui n’ont fait de mal à personne, alors que lui-même, criminel en chef est libre de ses mouvements et continue de commettre des crimes ? Depuis six mois les enfants de plusieurs bonnes âmes, dont Messenth Kokodoko et Joseph Eza, sont privés de leurs pères injustement. Pendant ce temps, vous avez votre fils à vos côtés, tous les jours que vous le souhaitez. Est-ce au nom de l’amour que vous le laissez infliger cette terrible épreuve à ces gamins ? Voilà une infime partie du lot de malheurs qui vous assure votre « bonheur ». Voilà à quel prix votre fils vous offre le confort dans lequel vous vivez. Elle vous sert à quoi finalement votre foi catholique ?

On apprend que vous mobilisez de prêtres franciscains afin de prier pour votre fils qui est actuellement dans une mauvaise passe. J’ose croire que ces prières sont destinées à l’aider à prendre la bonne décision, c’est-à-dire quitter le pouvoir sans plus faire de massacres ; car Dieu exauce seulement les bonnes intentions. Pas les prières en faveur du mal.

Madame Sabine Mensah, vous avez un fils qui est prêt à tout, même au crime, pour vous offrir une vie des plus dignes et des plus enviables. Mais à quoi ça sert de vivre dans une telle opulence si derrière chez vous, les gens n’ont pas le moindre repas par jour, et dorment sous des paillotes croulantes ? Savez-vous par exemple, que la nuit dernière, un môme est mort d’une simple fièvre à quelques rues de chez vous, parce que sa mère n’avait pas 500 francs pour acheter les médicaments ? Non. Parce que quand vous êtes malade, c’est un avion médicalisé qui vous amène vous soigner en Occident. Savez-vous qu’un étudiant togolais, lorsqu’il sort de l’université n’a que deux choix : devenir milicien à votre solde ou devenir taxi moto ? Non. Parce que votre fils lui n’a jamais eu besoin de travailler. Il a tout usurpé. Comprenez donc madame, les frustrations des populations. Comprenez madame pourquoi votre famille est autant vomie.

 

 

 

À ce jour madame, on peut, sans se tromper, estimer que vous avez déjà tout ce que vous auriez pu espérer de la vie : Argent, voitures de luxe, maisons et privilèges. Qu’avez-vous donc à perdre à votre âge ? Absolument rien. Osez, dans un sursaut d’orgueil, cet acte de sagesse et de classe, qui va pacifier le pays et apaiser vos victimes. Dites à votre fils que ça suffit. Qu’il y a une vie après le pouvoir. Demandez-lui, sinon exigez de lui qu’il rende au peuple, ce que votre famille lui a volé. Bref, raisonnez votre fils. S’il refuse d’écouter votre conseil, reniez-le. Et plus tôt vous le ferez, mieux ça vaudrait, car à votre âge, il est préférable de faire les choses pendant qu’on en a encore l’occasion, au risque de ne jamais pouvoir les faire.

 

 

 

Décidez !

Foussena Djagba