Sérail: qui est Esso Gnassingbé, le cousin qui a signé l’arrêt de mort de Kpatcha ?

 

 

Connaitra-t-on jamais le fin mot de l’affaire de tentative d’atteinte à la sécurité de l’Etat qui a coûté la liberté au député Kpatcha Gnassingbé ? C’est la question que la majorité des Togolais se posent près de douze ans après l’arrestation de l’ancien ministre de la Défense et demi-frère de Faure Gnassingbé.

 

 

A en croire des révélations de François Soudan,  directeur de la rédaction de Jeune Afrique, cette affaire qui était présenté comme le dernier acte d’un duel entre frères est plutôt un « règlement de comptes en famille ». Extrait…

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Depuis le limogeage de Kpatcha du ministère de la Défense et de la direction de la Sazof (zone franche) en décembre 2007, tous les Togolais savaient qu’au sein de la fratrie la guerre était déclarée, au point, que les premières rumeurs de coup d’État ont surgi dès janvier 2008, à l’occasion d’un voyage du président en Italie.

« À ce jeu, c’est toujours le plus intelligent qui gagne, confie un diplomate en poste à Lomé. En isolant son rival et en le coupant peu à peu de ses sources de revenus, Faure l’a acculé à la faute. » Arrêté dans l’après-midi du 15 avril devant l’ambassade des États-Unis, qui venait de lui refuser sa protection après avoir obtenu les garanties écrites d’un traitement conforme au droit international, Kpatcha Gnassingbé, 41 ans, attend désormais l’ouverture de son procès.

 

 

Les déclarations des protagonistes aux enquêteurs de la gendarmerie togolaise, ainsi que le contenu d’une clé informatique USB, actuellement placée sous scellés et présentée par le procureur Robert Bakaï comme une pièce à conviction déterminante, permettent de reconstituer les détails inédits d’un complot quasi familial à la fois mûrement réfléchi et totalement improvisé. C’est l’arrestation, le 27 avril à Pya, fief du clan Gnassingbé, d’un certain Essozimna dit Esso, 39 ans, fils de Kabissa Gnassingbé, se présentant comme technicien en télécommunications et proche parent de Kpatcha et de Faure, qui a manifestement permis de confondre les conjurés. Jusque-là en effet, Kpatcha et les officiers interpellés en même temps que lui niaient tout en bloc.

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L’audition d’Essozimna, qui faisait en quelque sorte fonction d’agent de liaison entre l’ex-ministre de la Défense et le groupe des militaires putschistes, ainsi que les confrontations qui ont suivi, permettent désormais d’y voir plus clair. Sur l’origine de la brouille entre les frères, tout d’abord : « Depuis que le ministre Kpatcha n’a pas été reconduit au gouvernement, a raconté Essozimna aux gendarmes, il n’a jamais cessé de manifester son mécontentement. Il estime avoir pris le pouvoir ensemble avec le président Faure, mais ce dernier l’en a écarté. Régulièrement, ses frères et sœurs [suit une liste de noms, NDLR] parlent mal de Faure devant Kpatcha.

 Ils estiment que Faure n’a jamais voulu les aider lorsqu’ils lui rendent visite. Il ne leur donne même pas d’argent. Dans le même sens, je sais que Rock aussi a été furieux d’avoir été écarté de la Fédération togolaise de football [FTF]. Presque toute la famille se plaignait. » À noter que Rock Gnassingbé, le patron du régiment blindé de reconnaissance de Lomé, réintégré début 2009 à la tête de la FTF, ne sera pas partie prenante du complot. Il se contentera d’intervenir dans la nuit du 12 au 13 avril pour empêcher que le domicile de Kpatcha ne soit pris d’assaut par les loyalistes du colonel Kadanga.

 

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Putschistes sous serment

Si l’on en croit la déposition d’Essozimna, confirmée ultérieurement devant les enquêteurs par les principaux intéressés et en particulier par Kpatcha lui-même, c’est le mercredi 8 avril au soir que tout ou presque s’est joué. Kpatcha Gnassingbé, qui sait que son demi-frère doit s’envoler pour une visite de travail en Chine cinq jours plus tard, reçoit en sa résidence de Kégué (banlieue nord-est de Lomé) le commandant de gendarmerie Abi Atti, 46 ans, un Tchamba de Sotouboua, de retour de Côte d’Ivoire, où il sert au sein du contingent togolais de l’Onuci. Atti est un très proche de Kpatcha, qui l’a beaucoup aidé dans le passé et à qui il ne peut rien refuser.

C’est aussi un militaire respecté dans l’armée. Lorsque Esso vient le chercher au bar Le Relais de la Caisse pour l’emmener dans son véhicule au domicile de celui qui n’est plus depuis décembre 2007 que le simple député de Kara, il ne sait rien de ce qui se trame. Tout juste se remémore-t-il une petite phrase mystérieuse de Kpatcha, il y a deux mois, alors que, permissionnaire à Lomé, il était venu lui rendre visite : « Je vais te confier une mission très importante. » Et quelle « mission » ! En ce soir du 8 avril, dans le salon de l’honorable député, outre l’hôte et son invité, il y a là Essozimna et un certain Kouma Towbeli, 39 ans, un Kabyé de Pya, qui fait office de secrétaire particulier de Kpatcha.

 

 

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Après avoir fait asseoir le commandant Atti, le demi-frère du président expose son projet. Il s’agit, lui dit-il, de renverser Faure pendant son voyage en Chine en s’emparant de la radio, de la télévision et de la présidence, le tout sans effusion de sang et en respectant les institutions de la République. Puis de former un gouvernement de transition de dix-neuf membres composé de quatre militaires et de civils apolitiques sous la houlette de l’actuel Premier ministre, Gilbert Houngbo, lequel n’a pas, est-il besoin de le préciser, été consulté, encore moins mis au courant. Une structure parallèle, le « Comité national de rectification et de réconciliation », composée uniquement d’officiers et de sous-officiers sera mise en place pour surveiller le processus, l’objectif étant d’organiser dans un délai de deux ans une élection présidentielle « crédible et transparente » à laquelle Kpatcha, lui-même réinstallé entre-temps au fauteuil clé de ministre de la Défense, se portera candidat.

 Et le commandant Atti dans tout cela ? « Tu seras le président de la transition », lui explique Kpatcha. Et pour faire bonne mesure, il lui assure que l’ambassade américaine à Lomé « est dans le coup » et qu’elle a elle-même « choisi » Atti pour ses qualités de probité. Aux enquêteurs, le commandant confiera qu’il a un peu hésité. Pour des raisons de sécurité personnelle tout d’abord, mais aussi parce qu’il ignore si l’armée va suivre. « Je lui ai reposé la question sur les troupes qui devaient mener la mutinerie », dit-il, en ajoutant que « la discussion a été très rude ».

Mais Kpatcha finit par le convaincre : « Il m’a répondu que sa seule inquiétude était la Force d’intervention rapide du colonel Kadanga. Pour les autres unités, il n’y aura pas de problèmes, elles sont acquises à la cause. » Et d’égrener les noms des principaux chefs « acquis » : le commandant Amah, le capitaine Dontema, l’adjudant-chef Ougbakiti et trois membres de la famille Gnassingbé, le commandant Malibada, le capitaine Bagoubadi et le frère de ce dernier, le lieutenant Justin Gnassingbé. Tous auraient juré sur la Bible et le Coran d’aller « jusqu’au bout ».

 

 

 

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Avant de se séparer, Kpatcha et Atti rédigent chacun un serment mutuel de fidélité dans lequel ils s’engagent à ne pas se trahir : « Je soussigné Kpatcha Gnassingbé m’engage solennellement devant Dieu et devant la tombe de mon père feu le président Eyadéma à apporter tout mon concours au commandant Atti pour la mission que nous avons entreprise ensemble », écrit l’ancien ministre de la Défense dans son message, dont Jeune Afrique a obtenu copie.

« Je lutterai de toutes mes forces à ses côtés. Je lui rendrai tous les honneurs dus à son titre et je ne manquerai jamais de respect pour sa personne en tout lieu et en toutes circonstances. » Au moment où Esso s’apprête à le raccompagner, Abi Atti formule une ultime requête. Il veut, dit-il, se rendre au village recueillir la bénédiction de ses parents et sacrifier aux ancêtres. « Ce ne serait pas prudent, rétorque Kpatcha. Il ne faut pas que tu quittes Lomé. Achète-toi deux bœufs et fais tes sacrifices ici. » Il lui tend une enveloppe, dans laquelle se trouve 1 million de F CFA. Alors qu’Esso le ramène au Relais de la Caisse, où il a laissé son véhicule. Atti est nerveux. S’il partage les motivations de son cadet et néanmoins mentor Kpatcha, il a encore des doutes sur la faisabilité de l’opération. Quelles seront les réactions des colonels Rock et Kadanga, qui dirigent les meilleures troupes de la capitale ?

 

 

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Les plans des conjurés, qui prévoient la diffusion de plusieurs communiqués, dont l’un « invite instamment l’ancien ministre de la Défense à reprendre la responsabilité de ce département resté vacant depuis 2007 » dans le but de « nettoyer le pays de tous les pilleurs » et d’éviter au Togo une élection présidentielle dépeinte sous les traits d’une « catastrophe nationale » annoncée, ne sont-ils pas absolument rédhibitoires aux yeux de la communauté internationale ?

Le jeudi 9 avril, Atti rencontre discrètement l’adjudant-chef Seïdou Ougbakiti, chargé d’assurer sa sécurité dès la mise en œuvre du putsch. Le samedi 11, il est de nouveau convoqué au domicile de Kpatcha, où il croise le capitaine Dontema et le général Pissang – lequel a un long aparté avec l’ex-ministre de la Défense, si long que son hôte finit par lui demander de repasser le lendemain.

Le dimanche 12 au soir, alors qu’il se prépare à se rendre à Kégué, Abi Atti est arrêté chez lui par un détachement de la FIR. Au même moment, d’autres unités encerclent le domicile de Kpatcha, lequel sera appréhendé trois jours plus tard devant l’ambassade des États-Unis. Le putsch a été éventé. Comment ? Par qui ? Si l’on en croit une source proche de la présidence, les services de l’ambassade américaine à Lomé auraient infiltré, puis « balancé » le groupe.

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Selon Atti, Kpatcha se vantait d’avoir reçu chez lui l’ambassadrice Patricia McMahon Hawkins, qui lui aurait donné son accord pour le putsch. Interrogé sur ce point le 28 avril par les enquêteurs du Service de recherches et d’investigations de la gendarmerie togolaise, le demi-frère du président aura cette réponse sibylline : « Les Américains n’ont jamais pensé à faire quoi que ce soit. Si j’ai demandé à Atti s’ils l’avaient contacté en Côte d’Ivoire, c’était pour savoir quels étaient ses contacts. » Ce point précis demeure l’un des mystères non encore éclaircis du « putsch de Pâques ».

 

 

Avec JeuneAfrique