Trading au Togo : quand les autorités ouvre la chasse aux tradeurs

 

L’arnaque liée au trading est une réalité au Togo. De nombreuses personnes ont été grugées par des promoteurs véreux. Le nombre de victimes est impressionnant. Dossier sur un fléau qui a coûté des millions de FCFA aux Togolais.

 

Lomé, fin août. Cinq personnes font, dans la matinée, le déplacement du commissariat du 3ème arrondissement sis au quartier Djidjolé. Ils ont entre 22 et 25 ans. Tous sont étudiants. Mines serrées, ils seront reçus après un moment d’attente par le commissaire. Ces jeunes sont là pour porter plainte.

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Ils comptent traduire devant les juridictions un certain Richard S. pour « escroquerie ». De leur récit, le mis en cause aurait abordé cette bande de copains en fin d’année 2019, se présentant comme un « trader », c’est-à-dire un professionnel des marchés des finances. A ces jeunes étudiants, il leur parle d’une « opportunité d’investissement », d’une « offre à ne pas rater » et de « richesse ». Pour y parvenir, nous racontent-ils, il leur faudra procéder à des placements financiers dont le retour sur investissement proposé est alléchant. Du trading !

Convaincus, nos cinq amis confieront par la suite une somme de 1.414.500 F CFA à Richard S, pour une promesse de gain qu’ils ont évalué à 15 millions FCFA sur l’année. Sauf que, plusieurs mois après, aucun versement n’a été effectué. Richard S. n’honorera jamais ses engagements. Il devra répondre à une convocation de la police nationale.

 

 

 

Cette affaire est loin d’être un cas isolé. Dans le cadre de notre enquête, nous avons recensé une vingtaine de plaintes liées à des accusations d’arnaques grâce au « trading ». Toutes dans la capitale, Lomé. L’arnaque aurait fait de nombreuses victimes depuis le début de l’année 2020.

Parmi elles, on retrouve tout type de profil : commerçants, militaires, étudiants, ménagères, etc. Dans l’espoir de récupérer leur argent, certains malheureux prennent d’assaut les commissariats de police de la ville. A des milliers de kilomètres de Lomé, au Cameroun, se joue un autre drame. Nous sommes tombés sur un reportage de la chaîne de télévision Equinoxe TV.

 

 

Les images tournées dans la ville de Douala montrent  un groupe de personnes au pied d’un immeuble. Les visages sont tristes. Un air de deuil. Des hommes et des femmes sont rassemblés pour « réclamer le remboursement de leurs fonds », raconte le reporter. De l’argent placé auprès d’une entreprise et « supposé générer des bénéfices ». Les sommes versées à cette entreprise sont comprises entre 300.000 et 6.000.000 de F CFA.

Dans la vidéo, le journaliste tend son micro à l’une des victimes. Une femme d’âge mûr. Elle semble désabusée. « J’ai investi 5 000 000 F CFA. J’espérais gagner 24 000 000 F CFA en retour. En 9 mois. Je n’ai même pas obtenu 5 F », livre-t-elle. Le reporter fait savoir que des prêts et économies entières ont été confiés à la société. « Elle est dénommée Africa’Lif et s’est présentée comme spécialisée dans l’achat et la vente des actions, l’intermédiation dans l’obtention des financements et ayant une expertise dans le marché financier », relate le journaliste.

 

 

 

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L’entreprise a aujourd’hui fermé boutique et ses dirigeants introuvables. Un collectif des souscripteurs abusés a saisi la justice camerounaise par le biais d’un avocat qu’ils ont engagé. L’avocat dit être surpris par l’absence de « personnalité juridique » de la société incriminée. La société n’est pas inscrite au registre du commerce et du crédit immobilier camerounais. Un « vice », une « irrégularité », dénonce l’avocat.

D’après le reportage, 1000 personnes ont confié au juriste avoir été flouées. Le Tribunal de grande instance du milieu s’est saisi de l’affaire après une plainte pour « escroquerie aggravée » déposé par le Conseil des souscripteurs contre les mis en cause. L’un des dirigeants de la société sera placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Douala. La Gendarmerie a été saisie et les autres mis en cause sont en cavale.

Cette histoire n’est pas sans rappeler de nombreuses affaires bien connus des Togolais avec des sociétés qui  ont fini par fermer du jour au lendemain, s’envolant avec les épargnes de leurs nombreux souscripteurs.

 

 

Internet

L’activité de « trading » s’est développée de manière fulgurante au Togo ces derniers mois. Beaucoup plus dans la capitale togolaise. Une communauté de personnes appelée « traders » opèrent en individuel ou sous la forme de société. Bien souvent dans l’illégalité.

Ces personnes physiques ou morales proposent au public, différents types de placements financiers dont pour certains, le retour sur investissement proposé est parfois douteux. N’empêche ! L’activité a le vent en poupe.

« Avec la mondialisation, le développement d’internet, la dématérialisation et la démocratisation des marchés financiers internationaux, de nombreuses sociétés d’intermédiations financières dites brokers ont saisi l’opportunité et offrent la possibilité aux particuliers d’accéder directement aux marchés financiers, à travers leur plateforme en ligne », renseigne l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), le gendarme financier français.

 

 

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« Il suffit tout simplement d’identifier une de ces sociétés, qu’elle soit en France, en Angleterre, aux États-Unis, etc. d’aller sur son site internet, d’ouvrir un compte en ligne et de le créditer avec une carte bancaire ou par virement pour accéder directement à la bourse à travers leur plateforme et commencer à spéculer sur divers produits financiers », informe l’AMF.

« Certaines sociétés d’intermédiations financières (brokers) offrent même la possibilité aux particuliers d’ouvrir, dans un premier  temps, des comptes virtuels afin de s’entraîner sur les marchés financiers avant l’ouverture des comptes réels. Il s’agit d’une stratégie commerciale, bien connue, pour attirer la clientèle. Dès lors, certains particuliers, sans aucune formation ni compétence particulière, ouvrent des comptes de trading en ligne et s’autoproclament traders », précise-t-elle.

Mais encore faut-il que ces sites internet de trading soient légaux. L’AMF tient à jour sur sa page web une liste noire des sites de trading illégaux. Après investigation, en réalité, la grande majorité des « traders » locaux ne sont pas des professionnels du domaine.

Beaucoup d’entre eux perdent même leurs économies en tentant de spéculer en bourse sur Internet. Comme nous le témoigne Gbati D. qui s’essaye au « trading ». Le jeune étudiant révèle avoir investi 110.000 F CFA à ses débuts. Une somme qu’il aurait perdu. Loin de se décourager, il dit être « trader » à son propre compte sur Internet.

 

 

« Pyramides de Ponzi »

Avec l’opacité qui entoure l’activité au Togo, la pratique est rapidement devenue un terreau fertile à l’arnaque et les escrocs s’en donnent à cœur joie. En effet, des individus véreux se faisant passer pour des « traders » profitent de l’ignorance de certaines personnes pour leur extorquer de l’argent en leur promettant des gains faciles à réaliser en très peu de temps, grâce aux produits de placement qu’ils proposent.

Il s’agit, en réalité, d’une arnaque bien connue dans le monde de la finance appelée « Pyramides de Ponzi » qui revient sous une autre forme dans notre pays.

 

 

D’après le magazine  économique français Capital, la Pyramide de Ponzi est « la première arnaque célèbre ». Elle utilise un système dit de « la pyramide » pour « flouer les investisseurs ». Le système a été mis en place par un célèbre escroc italien du nom de Charles Ponzi dans les années vingt.

 

 

« Le système est simple. Ponzi proposait à ses investisseurs des rendements mirobolants de 50% en 45 jours. Comme il est impossible de réellement produire ces rendements, Ponzi utilisait les fonds des nouveaux investisseurs pour servir le taux d’interêt promis aux anciens investisseurs. Le système fonctionne tant que la pyramide grandit et qu’il y a suffisamment de nouveaux investisseurs pour financer les anciens investisseurs. A défaut, la Pyramide s’écroule, le système explose, et tous les derniers investisseurs perdent la totalité de ce qu’ils ont investi », explique Capital.

« C’est ce système qui a été utilisé par Bernard Madoff, à l’origine du scandale du fonds Madoff, qui a fait perdre près de 50 milliards de dollars à ses investisseurs quand le système a explosé en décembre 2008 », note-t-on.

Visiblement, les pyramides de Ponzi continuent à faire des vagues. De nouvelles escroqueries de ce type continuent à prendre, mais sous d’autres formes. Selon le site Admiral Markets, spécialisé dans les marchés financiers, le « trading » est un mot anglais, couramment utilisé en langue française, pour désigner les opérations d’achats et de ventes effectuées sur les marchés financiers. «

Ces opérations sont réalisées par des traders depuis la salle des marchés d’une institution financière ou boursière ou depuis Internet, dans le cas des sociétés d’investissement et des traders indépendants », renseigne le site.

Un « trader » est « un professionnel, bien formé de la finance de marché, dont l’activité consiste à gérer du risque financier en jouant sur des écarts de cours, le plus souvent à court terme. Il possède une très bonne maîtrise du fonctionnement de l’économie, jongle avec les modèles mathématiques les plus sophistiqués, les statistiques et l’informatique. Le trader a également des compétences administratives et d’excellentes notions de gestion », éclaircit le site.

Les « traders » font ainsi tomber de nombreux Loméens dans leurs filets tissés de promesses fallacieuses. A Lomé où ce juteux business a pignon sur rue, des bataillons de « traders » chassent encore aujourd’hui des pigeons, en usant de séduction. Au niveau de la communication, c’est la maestria ! Sur les réseaux sociaux, ils s’affichent, dînant dans des restaurants huppés en faisant des selfies, histoire d’aguicher.

 

 

 

 

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Le but est de montrer que par leurs investissements dans le « trading » ils sont parvenus à l’opulence. Et ça marche ! Auprès des jeunes, particulièrement, qui finissent par embarquer des proches dans l’aventure.

 

Illégal !

« Il y a eu dans d’autres pays des personnes mal intentionnées (physiques ou morales) qui se sont mises ensemble pour monter un système pyramidal de mobilisation des fonds et après ont disparu », rappelle Martial Goeh-Akue, l’ancien Directeur de la Banque Régionale de Solidarité (BRS) aujourd’hui à la tête d’Orabank Burkina-Faso.

Pour le banquier, une personne a tout à perdre en confiant ses ressources à une structure qui opère dans l’illégalité et avec des promesses très alléchantes. « C’est illégal ! Gérer de l’argent de quelqu’un d’autre est un métier régulé et strictement encadré », prévient-il.

 

 

Dans un courrier datant du 6 juillet 2020, l’Association Professionnelle des Systèmes Financiers Décentralisés du Togo (APSFD) tire la sonnette d’alarme. Elle a multiplié des actions de prévention à l’endroit des Systèmes Financiers Décentralisés (SFD). « Nous tenons à vous informer de la réapparition des sociétés de placement qui sous le prétexte des sociétés de trading ou d’e-commerce miroitent des gains extraordinaires aux populations en ce début de campagne agricole », peut-on lire dans le courrier.

L’APSFD a d’ailleurs émis une alerte sur le comportement des investisseurs particuliers, afin qu’ils soient plus prudents, notamment lorsqu’il s’agit de service de « gestion » ou de crypto-monnaies qui « sont le nouveaux produits préférés des arnaques en ligne ». « Nous saisissons l’occasion pour vous prier de bien vouloir faire prendre les dispositions à vos caisses, guichets et sur le terrain pour sensibiliser les populations sur les dangers de ces opérations et le risque de spoliation de leurs épargnes constituées après d’énormes sacrifices », avise l’Association.

 

 

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Aux dernières nouvelles, elle aurait saisi le Ministère de l’Economie et des Finances sur le sujet. L’APSFD n’est pas la seule financière à s’inquiéter du phénomène. Le Conseil Régional de l’Epargne Public et des Marchés Financiers, organe de régulation du marché financier de l’Union Monétaire Ouest-africaine (UMOA), qui veille à la  protection de l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement du marché financier régional mettait déjà en garde en 2019 via un communiqué : « Le Conseil Régional de l’Epargne Public et des Marchés Financiers (CREPMF) met en garde le public de l’Union (…) contre la récurrence d’offres de placement aux promesses de rendements élevés ».

« En effet, certaines structures procèdent à la collecte irrégulière de fonds auprès du public contre des titres de capital, des placements financiers, des biens (immobiliers ou des véhicules), avec des promesses de rendement allant parfois à 100% à 500% de la mise initiale », déclare le CREPMF et d’aviser qu’il est le « seul compétent pour autoriser les opérations de levée des fonds sur le marché financier, habiliter les structures de gestion du marché et agréer les intervenants commerciaux ».

Le Togo n’est pas une exception. En fait, tous les pays membres de l’UMOA  sont concernés. D’après nos informations, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) aurait envoyé une note circonstancielle au ministère de l’Economie et des Finances. La base juridique de nombreuses sociétés de « trading » est remise en cause. Le « trading » de cryptomonnaies mis en avant par certaines est aussi une activité non reconnue par la BCEAO.

 

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Dans le jeu du gendarme et du voleur où le second a toujours un coup d’avance, l’explosion des réseaux sociaux a démultiplié les moyens dont disposent les vilains petits canards. « Les enquêtes sont difficiles, car les sites sont éphémères, exploités depuis l’étranger », admet un policier, qui conseille la prudence.

 

 

Nouvelle Tribune No 164