Le Togo dépend en grande partie et ce, depuis plusieurs années, de l’importation des produits carnés. Selon les informations, la production locale ne couvre que 10% des besoins sur le plan national.
Il y a un temps, cette situation anormale a incité les autorités, notamment le ministre de l’Agriculture d’alors, le Colonel Ouro-Koura Agadazi, à prendre des initiatives en vue de renverser la tendance.
Il faudra investir dans la production locale de la volaille afin qu’à terme, la tendance soit totalement renversée, c’est-à-dire qu’on ait une production de 90% sur le plan local et une importation de 10%.
Une initiative louable qui devrait permettre de booster l’agricultures togolaise et stimuler la production locale. Le projet était en cours avant l’arrivée du nouveau ministre de l’Agriculture et de la Production halieutique.
Noël Bataka s’est inscrit dans la même ligne d’action, sauf qu’il ne met pas la manière et provoque une tension permanente avec les importateurs.
Précipitation, incompréhension, cafouillage
Lorsqu’on définit un objectif assez louable, ambitieux et surtout dans un secteur aussi dépendant, il faut se donner du temps pour renverser la tendance, surtout que la production locale est pour le moment largement inférieure à l’importation.
On ne renverse pas la dépendance de l’extérieur de 90% en quelques mois ou années. C’est un long processus qui exige de la part des gouvernants une volonté politique, celle d’investir réellement dans la production locale afin de réduire progressivement la tendance.
Au lieu de faire les choses graduellement, l’actuel ministre de l’Agriculture et de la Production halieutique se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, fracassant tout sur son passage, s’arrogeant des prérogatives qui ne sont pas les siennes, traitant des opérateurs économiques comme des délinquants.
Après plusieurs séances avec les opérateurs économiques, séances souvent marquées par du chantage, des menaces, des injonctions, Koutera Bataka s’est fendu d’une note de service (fac-similé) portant obligation de signature de contrats de fourniture de volailles locales.
Avant cette note de service, le ministre a tenté, vainement, d’obliger les importateurs à acheter de la volaille dans les fermes agricoles avant de se faire rappeler par ces derniers qu’ils ne vendent que des produits congelés.
Une liste de fermes agricoles avec leurs capacités de production a été même mise à disposition des importateurs. C’est lorsque ces derniers ont rappelé à la religion du ministre qu’ils ne vendent que des produits congelés qu’il a sorti une note les obligeant à signer des contrats avec des abattoirs.
Rejet des commandes, conteneurs bloqués au port
Une disposition de la note de service précise : « A cet effet, je demande à tous les importateurs et distributeurs de produits de volailles de prendre toutes les mesures urgentes, à travers des contrats clairs et précis, pour l’enlèvement immédiat des volailles en souffrance d’une part, et pour la fourniture régulière de volailles locales d’autre part, et ceci dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de signature de la présente note».
Ce moratoire de quinze (15) jours accordé aux importateurs-distributeurs va permettre au ministre de se livrer à toutes les dérives dans le secteur.
Avant la sortie de cette note à l’endroit des importateurs, les services du ministère avaient déjà accordé aux importateurs des autorisations de commande et ces produits étaient en route pour le pays.
Certains conteneurs sont arrivés trois (03) jours après la note de service, d’autres dix (10) et d’autres encore quinze (15). Koutera Bataka qui se transforme en douanier, fait bloquer les conteneurs de marchandises arrivés au port sans aucune raison.
Des marchandises dont les autorisations de commandes sont accordées par son propre ministère. Depuis plusieurs semaines, les démarches des importateurs à la Direction de l’Elevage et de la Pêche qui donne l’autorisation de dépotage et auprès d’autres services se heurtent aux humeurs du ministre.
En dehors de surestaries suspendues, les importateurs dont les conteneurs sont bloqués au port doivent faire face à d’autres pénalités qui s’accumulent tous les jours.
Parallèlement à ce blocage, le ministère refuse systématiquement de délivrer des autorisations d’importation alors que la production locale n’arrive pas à couvrir les besoins.
Toutes les demandes d’autorisation introduites ont été rejetées par Koutera Bataka. Pire, des commandes des opérateurs économiques qui n’ont rien à voir avec la volaille ont été rejetées.
La société RAMCO qui n’importe pas de volaille, mais fait beaucoup plus la charcuterie, a vu ses demandes rejetées. Même chose pour un opérateur économique qui a introduit une demande d’autorisation d’importation des produits (saucisson, rosette, jambon, lardon fumé, salami) ou découpes de viande (cotis de porc, carré d’agneau, travers de porc). Qu’est-ce que ces produits ont de commun avec la production locale ?
Finalement, ce ministre qui défraie la chronique depuis quelque temps, se permet tout et n’importe quoi sans que personne ne le rappele à l’ordre. Vouloir relancer la production de la consommation locale ne signifie pas qu’il faut détruire les affaires des opérateurs économiques alors même que cette fameuse production locale ne suffit pas à couvrir toute la consommation nationale.
Depuis plusieurs semaines, les importateurs ne sont pas au bout de leurs peines du fait du blocage de leurs conteneurs. Et pourtant dans le document de Stratégie Nationale pour la Promotion de la consommation des produits animaux et halieutiques locaux en date du 26 janvier 2018, il est clairement dit ceci : « Toutefois, les conteneurs débarqués et en mer feront l’objet de dérogation spéciale ». D’autres ont annulé toutes les commandes passées à l’extérieur avec pour conséquence une pénurie à ressentir bientôt sur le marché.
Les fameux abattoirs ABC et MDL et la qualité de leurs produits
Dans le cadre de la note de service citée plus haut, deux abattoirs de vente de produits congelés ont été imposés aux importateurs-distributeurs. L’abattoir ABC (Agro Busness Company) sis à Agbalepedo dirigé par Mme Bernadette W. Agba NAPO et MDL localisé dans la banlieue Est de Lomé.
Sans aucune discussion au préalable, ces abattoirs envoient aux importateurs des contrats à signer. En parcourant ces contrats, surtout dans les parties obligations, on découvre des dispositions scélérates qui ne pourront pas favoriser une collaboration entre ces abattoirs et les importateurs étant donné que les produits carnés sont très sensibles en termes de conditionnement et de conservation.
Pour l’heure, aucun importateur n’a encore signé un contrat en bonne et due forme avec ces abattoirs, mais ils font des commandes depuis quelques semaines.
Selon plusieurs opérateurs, les abattoirs trainent à livrer les commandes, mais c’est la qualité des produits qui suscite des interrogations. Lorsqu’on importe un produit de l’extérieur, il y a un document de référence sanitaire qui l’accompagne. De plus, une étiquette sur le carton renseigne sur la date de production, l’abattoir, la date de péremption, etc.
Les produits livrés par les abattoirs requis par le ministère ne donnent aucune fiche de renseignement sanitaire, aucune étiquette sur le carton en dehors de l’agrément sanitaire. Aucun renseignement sur la date de production, de péremption et autres (Images du carton de l’abattoir ABC en illustration).
En examinant les poulets après ouverture des cartons, il y a lieu de se poser des questions sur la méthode d’abattage, de traitement et de conditionnement. Les opérateurs économiques et les détaillants se plaignent de tous ces aspects et surtout du prix du carton de 10 kg (19 000 FCFA) contre (14 500 FCFA) pour le produit importé.
La stratégie nationale pour la promotion de la consommation des produits animaux et halieutiques locaux est, certes, à soutenir et encourager. Le développement de l’agriculture en Afrique et l’indépendance vis-à-vis de l’extérieur passent par là.
Cependant, compte tenu des réalités du terrain, l’implémentation de cette vision ne doit pas se faire dans la précipitation ou dans la volonté d’obliger les importateurs-distributeurs à devenir des sociétés de subvention des agriculteurs locaux ou des fermes agricoles et abattoirs détenus par les gens du pouvoir.
C’est cette collusion des intérêts qui pousse aujourd’hui le ministre Koutera Bataka à faire du zèle et à s’illustrer par toutes les formes de dérapages préjudiciables aux importateurs.
L’Alternative