Au moment où Faure GNASSINGBE entame un quatrième mandat à la tête du Togo, il est indéniable que le fossé se crée davantage entre la société civile togolaise et celle militaire.
En trois décennies, le fils d’Eyadema n’a pas réussi à réconcilier les Togolais. Et pourtant son premier mandat était placé sous le signe de la réconciliation.
Aujourd’hui, alors qu’on est en temps de paix on a l’impression que l’armée togolaise trouve en ses frères civils un ennemi à abattre. Le nombre de civil abattu par les militaires ne cessent de croitre de façon exponentielle.
Ce qui remet au goût du jour, la sortie du ministre de l’Intérieur, de la sécurité et de la décentralisation, François Akila-Esso BOKO quand il remettait son tablier en pleine transition à la veille du scrutin présidentiel d’avril 2005. Plus que jamais, cette sortie est d’actualité.
« Soldats togolais (…) les armes que vous détenez au nom de la République, ne doivent pas être retournées contre la population que vous avez la mission de protéger », écrivait-il à l’époque.
Et de poursuivre qu’« il est intenable de continuer à mettre en permanence nos soldats sous pression à la recherche d’un ennemi du dedans qui n’existe pas ».
En cette période actuelle cruciale de l’histoire de notre pays, l’armée togolaise a rendez-vous « avec notre patrie qui vous chérit de toutes ses tripes avec la ferme conviction que les armes que vous détenez au nom de la République, (…) doivent servir à garantir une neutralité nécessaire à la consolidation de la démocratie ».
Lire l’intégralité du schéma de sortie de crise tel que proposé par quelqu’un du sérail du pouvoir et dernier ministre de l’Intérieur d’Eyadema.
EST-IL TROP TARD POUR DONNER ESPOIR À CE PAYS?
Depuis le 26 mars 2005, le Togo a entamé un processus électoral conformément à l’article 65 de la Constitution en vue d’élire un nouveau Président. L’Administration électorale sous l’autorité de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) s’est attachée à l’exécution des tâches matérielles avec l’espoir qu’au fur et à mesure de l’avancement du processus, les conditions politiques d’une élection apaisée seront réunies.
Mais le climat politique délétère (1) dans lequel se déroule une campagne électorale émaillée de violences (II), rend sombres les perspectives post électorales (III) et nécessite un sursaut national en vue d’envisager une solution politique (IV).
I/ Un climat politique délétère
Le climat politique dans lequel se déroule ce processus électoral est entamé par:
– La méfiance et la tension entre les deux principales forces politiques qui ne sont pas prêtes à se faire des concessions pour un minimum de consensus en vue d’établir la sérénité et la confiance nécessaires pour des élections apaisées.
– Les discours violents et acerbes de certains leaders politiques relayés par des militants parfois demandeurs de ces propos, ne sont pas de nature à raffermir le climat politique.
– Les effets des frustrations supposées ou réelles d’arbitraires et de tensions sociales de plusieurs années, ne sont pas de nature à garantir un climat propice à des élections apaisées. Ces frustrations nous interpellent davantage lorsque certains faits en particulier l’arrestation des hommes politiques en période électorale viennent rappeler des pratiques qui ne cadrent pas avec l’ère du renouveau prônée.
– Les menaces qui pèsent sur les dirigeants les amènent à assumer des options politiques auxquelles ils ne croient pas.
Depuis quelques semaines, des coups de fil anonymes, des pressions sur des amis, des soupçons de coup d’État qui serait orchestré par des jeunes officiers derrière lequel on voit la main du ministre de l’Intérieur, etc. m’ont convaincu des menaces réelles qui pèsent sur ma sécurité.
Il est toujours difficile de parler de soi. Mais les pressions émaillées de menaces que j’ai vécues, m’ont permis de mesurer ce qui constitue le lot de mes concitoyens vivant sous tension permanente pour des mobiles politiques.
– Même les responsables des Églises qui au-delà de leurs personnes, représentent l’autorité morale et la communauté religieuse de notre pays, sont menacés et vivent sous tension. Ces menaces professées sur les hommes de Dieu sont illustratives de l’exacerbation du climat politique et social.
Dans ce contexte particulièrement tendu, force est de constater que malgré les efforts soutenus de la CEDEAO en particulier de son Président en exercice qui a joué un rôle déterminant dans l’apaisement du climat politique au lendemain du décès du Président Eyadema et qui a apporté son expertise au processus électoral, les conditions politiques d’une élection qui réconcilie les Togolais ne semblent pas être réunies.
En l’absence donc de discussions politiques préalables entre les leaders en lice, la campagne électorale s’est muée en véritables affrontements entre les deux principales forces politiques du pays.
II/ Une campagne électorale émaillée de violences et d’affrontements menaçant gravement la paix sociale et la cohésion nationale
Si la première semaine de la campagne électorale n’a pas connu de dérapages majeurs hormis les écarts de langages et les joutes oratoires frisant les invectives, il n’en est pas de même pour la deuxième semaine.
La journée du samedi 16 avril a particulièrement été marquée à Lomé par la violence issue des affrontements entre militants du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) et ceux de la coalition des partis de l’opposition en campagne dans les rues de Lomé. Le bilan établi par les services techniques fait état d’une cinquantaine de blessés dont une dizaine admis en soins intensifs.
Depuis, tous les jours ont été marqués par des affrontements entre les deux principales forces politiques sur tout le territoire national, faisant des victimes dont la dernière en date est la mort d’un jeune le 20 avril vers 17 heures dans une banlieue nord de Lomé à Avédji. L’intérieur du pays n’est pas épargné par ces violences exercées par des militants des partis sur les militants de partis adverses.
La campagne est prise en otage par les militants des deux principales formations politiques, affirmant leur ferme volonté d’en découdre avec des moyens illégaux.
La résurgence du phénomène de milice armée de fusils de chasse faisant des descentes dans les quartiers ou accompagnant des cortèges et tirant sur des militants adverses, sonne plus qu’une alerte, comme des prémisses d’un affrontement partisan annonciateur d’une guerre civile.
De plus, un regain de discours tribal, régionaliste et Xénophobe, viennent assombrir les horizons du scrutin et mettent en péril l’unité et la cohésion nationale.
En filigrane, certains slogans réveillent les craintes d’un passé fébrile qu’a connu notre pays aux premières heures de son indépendance. Ces propos et slogans sont dangereux et méritent d’être manipulés avec précaution.
Le spectacle désolant et dangereux de militants qui circulent en bande et en cortège munis de gourdins cloutés, des coupe-coupe, des projectiles de tout genre, des fusils de chasse, obscurcit les horizons de cette période électorale.
III/ Des perspectives post électorales sombres
Je vois dans tous ces comportements, les risques réels d’affrontements sanglants. Tout porte à croire selon des sources concordantes, que tout est préparé de part et d’autre pour forcer l’issue du scrutin à travers des milices armées, l’option militaire et les stratégies électorales populistes fortement inspirées des scénarios de conquête de pouvoir par la rue initiés dans certains pays.
Le clergé avec à sa tête l’archevêque et les chefs des autres églises du Togo, est venu nous exprimer toutes ces craintes sur des lendemains incertains. Pourtant en organisant ces élections, faut-il le préciser, l’Administration électorale s’est toujours évertuée à expliquer aux uns et aux autres qu’une élection n’est pas seulement le déroulement d’un chronogramme technique savamment conçu.
Elle doit être également la réalisation de conditions politiques qui garantit l’acceptabilité des résultats, gage d’une paix sociale. Pour cela, nous avons à plusieurs reprises invité les partis politiques et en particulier les candidats en lice à se parler pour se donner des garanties mutuelles et faire en sorte que le futur perdant du scrutin n’ait pas l’impression qu’il a tout perdu et que le gagnant ne croit pas avoir tout gagné. Car la politique n’est pas et ne doit pas être un jeu à somme nulle.
La rencontre de Niamey qui a eu lieu le 20 avril sous l’égide du Président en exercice de la CEDEAO aurait pu rentrer dans cette logique, n’eut été l’absence déplorable du candidat de la coalition de l’opposition, empêché semble t-il par son calendrier de campagne.
A présent et face à tous ces rendez-vous manqués et à ce tableau sombre, il convient de se rendre à l’évidence que tenir un scrutin si capital pour la survie de notre pays dans un climat aussi tendu, risque de précipiter dangereusement ce pays dans l’abîme.
En ma qualité de ministre de la sécurité probablement bien renseigné, je ne me sens pas capable de prendre le risque de conduire les filles et fils de ce pays à rompre cette communauté de destin qui les lie. Je compte sur un sursaut national pour que la classe politique mue désormais par l’intérêt supérieur de la nation, se rende à l’évidence et humblement qu’il est temps de donner espoir à ce pays en décidant de mettre un terme à ce processus électoral chaotique et dangereux pour le Togo.
IV/ La nécessité d’un sursaut national pour ouvrir une transition politique
Dans cette perspective, il y a lieu pour éviter le pire et le chaos, que la classe politique se retrouve autour du Président de la République par Intérim pour envisager une transition politique d’un à deux ans afin de réconcilier le pays avec quelques axes d’effort:
1. nommer un leader de l’opposition Premier Ministre chargé de former sous l’autorité du Président de la République par Intérim, un Gouvernement de transition représentatif de la classe politique principalement de l’opposition et de la majorité;
2. mettre en place une commission chargée de proposer au Gouvernement, un avant projet de loi fondamentale en vue de doter le Togo d’une Constitution et d’une Charte des partis et poser de nouvelles règles saines permettant de bâtir l’État de droit et de consolider la démocratie;
3. mettre en place une commission chargée de réconcilier le pays avec lui-même et avec son armée en proposant une amnistie générale pour permettre le retour au pays de nos compatriotes vivant en exil;
4. rassurer l’armée en lui dotant d’un Statut qui améliore les conditions matérielles de nos soldats, lui donne les moyens modernes de sa mission et lui garantit une neutralité nécessaire à la consolidation de la démocratie. Il est intenable de continuer à mettre en permanence nos soldats sous pression à la recherche d’un ennemi du dedans qui n’existe pas;
5. poursuivre les négociations avec les partenaires au développement, notamment l’Union Européenne en vue de la mise en œuvre des engagements pris à Bruxelles le 14 avril 2004 et de l’ouverture des perspectives plus ambitieuses pour le développement du Togo.
6. ouvrir des négociations avec les Institutions de Betton Woods en vue d’une reprise de la coopération financière avec tous les partenaires dans la perspective de retrouver un fonctionnement harmonieux de notre économie.
Notre pays est à un tournant capital de son histoire. Son destin peut basculer à tout moment si nous ne prenons garde.
En décidant de sortir de ma réserve, je mesure les risques que je prends. Mais j’écoute surtout les appels pathétiques lancés par des Togolais complètement désabusés qui chaque jour, rêvent pourtant d’un Togo réconcilié qui renoue avec le progrès et la prospérité.
Je ne veux pas porter la lourde responsabilité de conduire ce pays à l’abîme en laissant poursuivre ce processus malgré les perspectives sombres qui se dessinent. Il est temps que les Togolais se regardent en face, se parlent et se donnent des gages pour poser les jalons d’un nouveau contrat politique susceptible de réconcilier le pays.
J’ose espérer en assumant ma part de responsabilité dans cette aventure à l’issue incertaine, qu’il n’est pas trop tard pour donner espoir à ce pays.
Je remercie ce vaillant peuple. Peuple Togolais, c’est avec grande émotion que je voudrais vous témoigner ma gratitude pour le soutien sans faille que vous m’avez apporté durant cette période cruciale de notre vie politique où le hasard a voulu que je sois à ce poste névralgique.
Je suis convaincu que l’harmonie que j’ai essayé de semer entre vous et les forces de sécurité va s’agrandir pour le bien de la cohésion nationale.
Soldats togolais, je sais la ferme volonté qui vous anime de vivre en harmonie avec vos frères civils. Dans ce sens et de cette façon, vous avez manifesté votre adhésion à cette démarche de cohésion et de réconciliation avec vos frères civils.
La période actuelle est cruciale. Vous avez donc rendez-vous avec votre patrie qui vous chérit de toutes ses tripes avec la ferme conviction que les armes que vous détenez au nom de la République, ne doivent pas être retournées contre la population que vous avez la mission de protéger.
J’ai espoir que le génie togolais peut dans les mois qui viennent, triompher des doutes et enclencher un processus électoral apaisé qui réconcilie les Togolais sans usage de la force.
J’espère que la communauté internationale continuera à assister le Togo en appuyant les efforts de la CEDEAO dans la recherche de solutions durables pour l’avenir du Togo. Puisse la classe politique togolaise faciliter le travail de la CEDEAO dont ne l’oublions pas, la détermination a permis le retour à l’ordre constitutionnel.
Je souhaite à ce beau pays l’harmonie qu’il mérite pour rentrer dans l’ère de la modernité en retrouvant le chemin de la prospérité et du progrès.
Togo Scoop