« Influenceuse », « panafricanisme », « terrorisme »… Autant d’expressions fourre-tout, auxquelles on peut faire dire une chose et son contraire. Comment, dès lors, distinguer le vrai du faux ?
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Il semble que l’époque soit aux mots-valises, aux expressions passe-partout et aux locutions fourre-tout. Elles font le miel du langage courant de chez nous. Mais, à force, on touche le fond de l’indigence langagière. Tenez, comment appelle-t-on une jeune femme d’Afrique francophone qui fait commerce de ses charmes et l’assume crânement sur ses comptes Facebook et Instagram ? Une « influenceuse ».
« Sex-fluenceuse »
Ce doux euphémisme est porteur d’une injustice d’autant plus cruelle qu’il désigne à la fois les « mangeuses de crottes » de l’affaire Dubaï Porta Potty et les vraies influenceuses du web, ces femmes estimables qui, grâce à leur exposition sur internet, exercent une influence sur ceux qui les suivent et orientent les décisions d’achat de ces derniers. Oh, les vraies influenceuses ont bien tenté de résister, de se protéger de cet amalgame disgracieux. Elles ont essayé, en vain, d’atteler le nom commun à un préfixe : « sex-fluenceuse ». Fastidieux. Elles n’ont pas rencontré davantage de succès en y accrochant un complément : « influenceuse du sexe » est bien trop long et trop connoté pour s’intégrer dans le langage courant.
Quelle idée ! Qui désire vraiment tracer la provenance de l’argent dépensé sans compter par nos ambassadrices de charme ? Si nous nous abonnons par dizaines de milliers à leurs pages, c’est en spectateurs d’une vie dont nous rêvons pour nous-même. Ce mirage, nous le prenons tel quel et le partageons sans hésitation avec d’autres.
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Bobards
Les influenceuses partagent l’espace public avec d’autres nouveaux acteurs qui ont tapé dans l’œil de ma fille. « Dis, papa, ça veut dire quoi le panafricanisme ? » Évidemment, elle n’a pas cru un mot du bla-bla embarrassé que je lui ai servi : cette vision sociale, économique, culturelle et politique d’émancipation des Africains et un mouvement visant à les unifier. Ça, c’était avant, aux temps lointains de Kwame Nkrumah et de ses semblables, ces pacifistes naïfs. Aujourd’hui, ce n’est pas ce que la gamine voit aux infos ! L’inventivité d’une nouvelle génération d’afrodescendants l’a conduite à décréter que le panafricanisme était une « urgence ». Sûre qu’elle est de savoir ce qu’il faut faire pour libérer les Noirs des chaînes mentales de l’esclavage et du colonialisme. L’idéologie sous-tend un mouvement divisé en tendances concurrentes. Certaines attaquent des musées pour récupérer les œuvres d’art africaines qui y sont exposées, d’autres brûlent des billets de franc CFA ou expulsent des journalistes qui ont eu le malheur de leur déplaire.
Si les mots ne veulent plus rien dire, nous pouvons néanmoins leur faire dire n’importe quoi. Le phénomène n’a pas échappé aux politiques qui s’en sont saisis pour faire avaler toutes sortes de bobards au peuple. En démocratie ou dans les régimes autoritaires, l’obsession est la même : qui perd le contrôle de la parole perd le pouvoir. Il n’y a qu’à voir les armées de cybermilitants chargés de poster des commentaires favorables aux régimes – quitte à déformer la vérité –, tout en se tenant prêts à défendre le pouvoir quand celui-ci est critiqué.
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Paradis des serial-menteurs
Peut-être qu’un jour « panafricaniste » deviendra un mot soufflet, une insulte, ou une infraction pénale fourre-tout, à l’instar de « terroriste ». Bien malin est celui qui pourrait en donner une définition définitive. Le terme désigne indifféremment un séparatiste anglophone au Cameroun, un membre d’un groupe politico-militaire au Tchad, ou, au Bénin, une candidate à la présidence disqualifiée. Plus c’est gros, mieux ça passe.
Si les mots peuvent dire une chose et son contraire, comment distinguer le vrai du faux ? Comment évaluer la sincérité et la bonne foi quand nous ne sommes plus sûrs du sens des mots ? Cette zone grise est le paradis des serial-menteurs et autres complotistes, qui prospèrent à l’ère du boniment, cette époque où le débat public déconsidère la rationalité.
Avec Jeune Afrique