Ce 27 avril 2020, le Togo fête 60 ans d’une pseudo-indépendance que d’aucuns, naïvement, ont toujours célébré avec faste. Pourquoi célébrer ce qui n’existe pas ? La force du mythe, tout simplement.
Que s’est-il passé en réalité ? Lors des élections de 1958, le camp dit des nationalistes ( CUT d’Olympio et Juvento de Santos et Aithson ) qui voulait une indépendance immédiate a remporté la victoire aux législatives face au camp des pro-français ( PTP, UCPN, MPT) qui voulait une indépendance progressive symbolisée par l’Autonomie interne, de 1956 à 1958. Le front des vainqueurs se fissura aussitôt la victoire acquise parce que la Juvento accusa Sylvanus Olympio de trahison. Au lieu de proclamer l’indépendance immédiate conformément à leur promesse et à leur programme électoraux, comme en Guinée de Sékou Touré, il repoussa la proclamation de deux ans, en s’alignant sur le programme des pro-francais Grunitzky, Dermane Ayeva et Méatchi. Les militants de la Juvento se sentirent humiliés d’avoir à proclamer l’indépendance en même temps que des bénis oui-oui de la France tels que les Houphouet-Boigny, Senghor, Léon Mba, Diori Amani…
Quand les partis alliés du colon étaient au pouvoir de 1951 à 1958, ils ont infligé beaucoup de sévices, de brimades et de violences aux nationalistes. Olympio utilisa à son tour sa victoire pour se venger de ses adversaires politiques en mettant sur pied sa terrible milice des Ablode sodja. Ces délinquants pratiquèrent le viol, le pillage, les assassinats et la terreur en toute impunité. Ils devastèrent le domicile du propre beau-frère d’Olympio, Nicolas Grunitzky, en exil, battirent sa femme et ses enfants.
La répression frappa aussi ses alliés de la Juvento, les vrais nationalistes, qui voulaient l’indépendance tout de suite, en 1958. Les juventistes Anani Santos, Firmin Abalo furent jetés en prison. En 1961, à l’occasion des législatives, Olympio interdit aux services du Trésor d’accepter le cautionnement électoral des partis de l’opposition y compris la Juvento, et alla seul aux législatives qu’il remporta à 100% avec un parlement monocolore. Il venait ainsi de faire du CUT, qui prit le nom de PUT, le premier parti unique du Togo. Les prisons du pays débordaient de prisonniers politiques.
Après le lâche assassinat d’Olympio par les tirailleurs d’Eyadema manipulés par la France, le pouvoir revint à Nicolas Grunitzky. Au lieu de réunir les Togolais, il réprima et ostracisa ceux des anciens dirigeants du CUT qui ne voulurent pas coopérer avec son gouvernement d’Union et de Réconciliation nationale. Noé Kutuklui et Théophile Mally connurent la prison pour l’un et l’exil pour l’autre. Avec les syndicats, la branche radicale du CUT ( Mivedor, Boukari Djobo ), avec la complicité de l’armée d’Eyadema, souleva la population contre le régime Grunitzky qui s’était fissuré suite aux ambitions du vice-président Antoine Méatchi qui voulait devenir président à la place du président.
La France fit chasser Grunitzky du pouvoir par son homme Eyadema. Ce fut une longue nuit de trente-huit années d’une sauvage dictature et de pillage systématique. Eyadema se retourna contre ses alliés du CUT auxquels il était censé céder le pouvoir au bout de quelques mois. Plusieurs furent assassinés et les autres s’exilèrent. Je tiens cet aveu de Boukari Djobo, qui fut ministre dans le premier gouvernement d’Eyadema après le putsch, auquel j’avais rendu visite à son domicile de Kodjoviakopé, quelques mois avant son assassinat à Sokodé. A la mort du tyran, son fils Faure lui succéda à la suite d’un coup d’État sanglant qui transforma la République en monarchie, en 2005.
Le bilan de ces 60 ans d’errements politiques doit être fait pour que nous en tirions les leçons. Le Togo ne peut être laissé indéfiniment entre les pattes d’une sinistre et minable dictature. Le sort de notre peuple en dépend. Combien de générations vont être encore sacrifiées au profit d’une minorité ?
La démocratie a toujours été bafouée sous les deux dictatures civiles et la dictature militaire. Les élections ont toujours été une mascarade pour maintenir le détenteur du pouvoir sur son siège illégitime.
La dernière élection présidentielle du 22 février 2020, en est la parfaite illustration, car son vrai vainqueur, Agbeyome Kodjo, est sur le point d’être jeté en prison. L’électoralisme est un échec sur tous les fronts mais l’opposition ne veut pas le comprendre et préfère le rôle d’alibi ou de béquilles.
La conception de la politique qui prévaut au Togo depuis 60 ans est celle de l’accaparement du pouvoir comme instrument de vengeance pour mater l’opposition. Soit elle collabore soit elle connaît la prison, l’exil et toutes les violations des droits humains. Ayons le courage de la vérité pour ne nous en tenir qu’aux faits, rien qu’aux faits. Il faut pour cela posséder la lucidité, refuser la manipulation et aimer la justice, toutes choses qui échappent aux fanatiques. Je plains les fanatiques des partis d’avant et de l’indépendance qui n’ont pas vécu cette époque, comme moi-même, et qui pourtant étalent un zèle étonnant alors que leur militantisme n’est que purement mimétique par simple alignement sur les choix partisans de leurs parents. Aucun bilan biaisé et mensonger ne peut aider à tirer des leçons. Cela équivaut à se mentir à soi-même.
POSER LES BONNES QUESTIONS
Avons-nous connu un seul régime qui ne soit pas celui de la chasse à l’homme, de l’insécurité pour les opposants et de l’impunité pour les bourreaux ?
A quoi ont servi toutes nos Constitutions puisque aucun régime n’a respecté la Constitution qu’il s’est lui-même donné ? Faut-il continuer à se battre pour ces lois fondamentales, véritables chiffons de papier, qui font de la démocratie un leurre ?
Les élections doivent-elles continuer à être un jeu de massacre au cours duquel le vaincu sort toujours vainqueur ?
Les changements de régime doivent-ils continuer à s’opérer dans le sang des assassinats et des coups d’État comme ça a toujours été le cas au Togo ?
Doit-on attendre ce scénario, les mains sur les hanches, en attendant d’assister à la chute du régime Gnassingbé ? Avons-nous la date de sa chute ?
Même si le peuple debout chassait Faure Gnassingbé, est-on sûr que la vengeance ne se substituera pas à la justice, et que le nouveau président ne se comportera pas en despote ? Les exemples sont légion en Afrique : Alfa Condé en Guinée, Wade au Sénégal…
QUE FAIRE POUR LE VRAI CHANGEMENT AU TOGO ?
Il est hors de question de suivre la voie de la compromission tortueuse de ceux qui croient amener le camp dictatorial à changer en lui baisant les pieds, attitude stérile qui ne fait que le rendre plus arrogant. Ces opposants et oppositions » charnières » ont toujours lamentablement échoué, soit par la récupération soit par l’humiliation. L’on ne peut pas combattre la dictature et lui trouver des circonstances atténuantes. L’on ne peut pas être et ne pas être. Ce comportement s’appelle trahison.
Il faut, en tirant toutes les leçons du passé électoral de notre pays, renoncer à toute élection. Se prêter encore à ce jeu stupide équivaut à une trahison du peuple togolais.
C’est pourquoi, au lieu de perdre leur temps et leurs moyens en participant aux mascarades électorales, les vrais partis de l’opposition à la dictature et la société civile doivent réfléchir aux méthodes qui recourent à la rue et aux négociations en position de force pour obliger le tyran à quitter le pouvoir.
Mais des responsables, plus intelligents et courageux que les autres, du régime Gnassingbé, peuvent anticiper, en véritables hommes politiques, et faire pression sur leur chef, en prenant langue ouvertement avec les vrais opposants, non pas pour signer des accords bidon comme par le passé, mais en poussant le despote à poser des actes, véritables gages, pour son départ du pouvoir. Ce faisant, il pourra négocier son départ et ceux des siens dans les meilleures conditions.
Nous sommes une force de propositions et en tant que telle, nous avons le devoir de réfléchir pour favoriser le changement. Il ne s’agit pas d’un programme ou d’une démagogie mais d’idées pour sortir du piège de l’électoralisme béat et de la résignation qui s’en remet aux caprices d’un Dieu sourd comme un pot.
Une transition très encadrée devra succéder au régime militaire. Elle mènera une réflexion sur la démocratie que nous voulons pour le Togo, à partir de nos réalités et cultures, avec tous les verrous institutionnels et constitutionnels visant à éviter les abus du passé.
La politique politicienne destinée à anéantir l’adversité politique a trop accaparé l’énergie des pouvoirs de faits au détriment des projets de développement. C’est pourquoi la transition devra dégager une politique de développement sur une vingtaine d’années que les pouvoirs élus seront tenus d’appliquer.
L’échec des voleurs de la République, la minorité accapareuse, est patent. Les régimes civils ont aussi échoué. L’héritage que les pouvoirs de fait ont légué au peuple togolais est une immense misère, le chômage, la migration suicidaire de notre jeunesse qui a transformé la Méditerranée en cimetière marin. Chaque année cinquante mille chômeurs viennent grossir l’immense armée de chômeurs dont beaucoup sont très diplômés. C’est terrible et intolérable. Il faut que cela change. Il faut que cesse le régime militaro-fasciste. S’il perdure, c’est le Togo qui risque de disparaître dans quelques décennies.
Nota bene: Les Togolais ignorent tout de leur histoire récente que beaucoup de politiciens de tous les bords ont intérêt à leur cacher. Que les lecteurs fassent l’effort de consulter les ouvrages d’histoire, les Archives nationales, les parutions du Journal Officiel de la République togolaise, les journaux d’époque… Plus on en sait, moins on est manipulé. Il faut briser l’omerta politique qui jette le voile de l’oubli sur la période de notre histoire allant de 1946 à 1967.
Ayayi Togoata APEDO-AMAH