Il est clair que chaque citoyen, quel qu’il soit, est le premier responsable de sa propre vie et donc de sa sécurité. De ce point de vue, l’accident de Bako survenu il y’a trois jours, à près de 8 km de Walaha et qui a engendré la mort de 13 citoyennes et la blessure d’au moins 15 autres, engage en premier, la responsabilité du conducteur. Celui-ci aurait dû s’assurer de l’état de son véhicule, de sa capacité réelle à porter tous ces passagers avant de s’y aventurer.
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Nous n’avons donc pas d’autre choix que de convenir tous sur ce volet et je crois que le ministre de la sécurité, le général Yark Damhane, a bien fait, dans son communiqué, de relever ce type de manquement, d’inviter les conducteurs au respect du code de la route, après avoir élucidé les conditions de survenue d’un tel accident.
Mais après avoir dit ceci, il nous semble fondamental de creuser davantage le sujet.
Pouvons-nous objectivement dire que la responsabilité de l’État n’est aucunement engagée dans ce fait?
Le bus en question a quitté Vogan pour le marché de Gléi, il a parcouru plusieurs kilomètres avant le lieu de l’accident. A-t-il croisé un policier ou un gendarme en route oui ou non? Si oui, pourquoi il n’a pas été interpellé ne serait-ce que pour la surcharge du véhicule? Si non, pourquoi n’existe-t-il pas suffisamment de ces forces de contrôle alors que le pays est miné par des milliers de jeunes qui sont au chômage, totalement désœuvrés ? Vous voyez-là que toutes ces questions engagent directement la responsabilité des gouvernants !
Mais allons plus loin. Le pont sur lequel l’accident a eu lieu, est-il construit dans les normes et standards internationaux ? Tout le monde peut convenir que non, rien qu’à vue d’œil, l’on sait que ce pont n’a pas de garde-fous qui auraient pu retenir le véhicule et est visiblement très étroit.
Là aussi, il y’a forcément un souci d’autant plus qu’à la suite de l’effondrement du pont d’Amakpapé en 2009, il nous avait été dit que l’État prendrait les dispositions nécessaires pour revisiter tous les ouvrages sur le territoire national et bien sûr, les adapter aux normes requises. Ce qui n’a non plus été fait.
Mais évoluons. Selon les témoignages recueillis de toutes parts, les victimes ont trainé par terre des minutes et des minutes sinon même des heures avant de bénéficier d’une assistance qui a permis de conduire les blessés à l’hôpital de Notsè et les victimes à la morgue de la même localité. Pourquoi autant de lenteur dans le secours à apporter à des citoyens en situation extrêmement difficile?
L’État manque-t-il de personnel ou d’équipements à cet effet? Si oui, pourquoi alors que les taxes et les impôts sont perçus auprès des contribuables dont ces femmes, depuis plus de six décennies d’indépendance à cette fin?
Alors, si cette lenteur est liée à une forme de négligence ou d’indifférence délibérée, là aussi la question reste valable. Pourquoi des citoyens assignés à une telle mission et payés comme tel ne s’y appliquent pas? Et que fait l’État pour y remédier dès lors que sa mission est précisément de réguler la vie des citoyens à partir des lois, règlements et principes qui favorisent le vivre ensemble et l’évolution progressive de la société elle-même vers un État-nation?
Mais croyez-moi, ce n’est pas tout, car tout le monde sait que le code de la route exige de tout usager, un certain nombre de conditions qui doivent impérativement être respectées par tout citoyen. Ainsi donc, lorsqu’un chauffeur qui a la responsabilité, tous les jours, de conduire la vie de plusieurs personnes ne s’y conforme pas, il y’a forcément lieu de s’interroger.
Pourquoi un citoyen adulte, totalement responsable ne se soucie point de sa propre vie et de celle de ceux qu’il conduit? Est-il devenu fou ou c’est l’écosystème dans lequel il vit qui l’y oblige ou qui favorise une telle attitude?
L’on verra sûrement à ce niveau qu’il y’a un laisser-aller, une complaisance de la part de l’État qui est pratiquement absent ou n’est pas rigoureux dans l’application de la loi et la pauvreté aidant, les citoyens les enfreingnent, non pas par plaisir, mais par nécessité, afin de gagner autant que faire se peut, leur pitance.
Autrement, les femmes elles-mêmes, si elles étaient épanouies avec une haute conscience des risques qu’elles encourent, n’auraient jamais accepté de se faire agglutiner, telles des sardines dans un seul véhicule de cette nature.
Il se pose là, un problème sérieux d’organisation de la société par les gouvernants, de création de l’environnement qui permet non seulement la conscientisation des citoyens, mais aussi leur épanouissement effectif et leur prise en charge par eux-mêmes.
Au vu de tous ces éléments et étant entendu que ces femmes, victimes de l’accident, allaient au marché dans l’unique but de mener des activités qui vont, d’une part nourrir leur famille ainsi que leurs enfants, avenir même du pays de demain, et de l’autre, nourrir l’économie nationale à travers les taxes qu’elles payent au marché, les gouvernants se devraient, impérativement et sans aucune concession, de réagir ne serait-ce que pour exprimer leur compassion et leurs condoléances attristées, en plus d’y prendre prétexte pour donner d’utiles conseils au peuple.
Du fait même que les pôles stratégiques et décisionnels de notre pays sont aujourd’hui détenus par la gent féminine dont la fibre maternelle pousse souvent à plus d’humanisme, et vu que ce sont aussi des femmes en pleine activité économique qui ont été gratuitement fauchées de la sorte, la réaction de dirigeants aurait dû être naturellement d’une autre nature.
Mais enfin, rappelons-le, la gouvernance d’État est un exercice qui s’appuie principalement sur des faits de société, qu’ils soient heureux ou malheureux. Lorsqu’une situation pareille survient, il s’agit bien pour le gouvernant, d’une part de tester le niveau d’immersion des lois de la République dans la conscience de ses citoyens et de l’autre, de déceler les manquements qui persistent encore par rapport à la mise en oeuvre de sa propre vision qui doit forcément être orientée vers le meilleur devenir de ses mandats.
En tout, des faits d’une telle ampleur doivent servir de moyens au gouvernant pour donner la preuve à ses gouvernés qu’il est bien là pour eux, en tant que parent et non pour lui et lui tout seul.
L’indifférence ou le vide que nous avons constatés sur les pages de nos supposées leaders actuelles après un tel drame, n’est pas normal. Cela doit être rattrapé !
Luc Abaki