Dans la foulée du décès d’Ignace Clomegah, influent conseiller de Faure Gnassingbé, l’archevêque de Lomé lui refuse les rites funéraires catholiques. La famille du grand maître se tourne donc vers l’église méthodiste. La décision de Mgr Barrigah est-elle justifiée ? Les relations tumultueuses et parfois compromettantes entre catholicisme et franc-maçonnerie, les précédents connus, Afrika Stratégies France explique le duel qui se joue entre la confrérie d’origine écossaise et l’institution romaine depuis plus de quatre siècles, en cinq questions-réponses.
Décédé le 22 février, Ignace Clomégah aurait bien voulu bénéficier de rites funéraires catholiques alors que le très influent conseiller du président de la République est l’une des personnalités les plus en vue du pays. Mais une lettre ouverte, adressée à ses prêtres, par l’archevêque de Lomé a suffi à ébranler cette volonté et à susciter une vive polémique sur les réseaux sociaux. Finalement, le président du Conseil d’administration de la Société Nouvelle des Phosphates du Togo (Snpt), le « trop » catholique Clomegah doit se contenter de veillées funèbres et de messe corps-présent dans une église méthodiste de la ville de Lomé. Pourquoi l’archevêque de Lomé lui a refusé une messe de requiem ? Et qu’en est-il, depuis l’apparition de la confrérie d’origine écossaise, en 1598, des relations avec l’Eglise ? Quels sont les impacts de cette décision quand on sait que de nombreux fidèles catholiques et même quelques prêtres font partie de la Grande loge nationale du Togo qu’a présidée jusqu’à sa mort Ignace Clomegah ?
1- Comment l’archevêque justifie-t-il sa décision ?
C’est à travers une lettre rendue publique le 14 mars que Mgr Barrigah annonce l’information. «Je viens vous annoncer que nous ne sommes pas autorisés à célébrer les obsèques de Ignace Anani Kokouvi Clomegah selon les rites catholiques du fait de son appartenance à la franc-maçonnerie » a précisé l’archevêque, s’adressant à sa curie diocésaine et aux curés de la capitale togolaise. Il précise avoir consulté, à cet effet, l’ensemble des évêques du pays pour avis et pour cause, l’appartenance de l’intéressé à la franc-maçonnerie. Une mise en garde pour les personnalités publiques dans un pays où la loge est un passionnant cercle de promotions diverses et de réseaux. Au Togo, trois grandes loges dont deux françaises se partagent les adeptes estimés à 25.000 environs.
2- Quels statistiques sont-elles disponibles pour le Togo ?
Pas de statistiques officielles, la confrérie étant par nature secrète. Initialement, trois loges se partageaient le Togo. Le Grand Orient de France, la Grande Loge nationale de France et la Grande Loge nationale du Togo que dirigeait Ignace Clomegah. Ces dernières années, des loges liées à des obédiences britanniques et écossaises ont fleuri. Avec environ 150 membres, la Grande Loge nationale symbolique du Togo et des pays associés en est une d’indépendante qui orchestre un discret recrutement dans le pays. Cette loge apparaît comme une forme « free-lance » de la maçonnerie en ne se liant à aucune grande loge connue. Abalo Emmanuel en est l’énigmatique et très secret grand maitre. Si les chiffres ne sont pas précis, environ 25.000 togolais seraient membres des diverses obédiences.
3- Pourquoi les relations entre l’Église et la franc-maçonnerie sont si tumultueuses ?
Les relations plutôt tumultueuses entre maçons et catholiques ne datent pas d’hier. Depuis le 17e siècle, l’Église a toujours exprimé sa méfiance puis sa ferme opposition à l’égard de la franc-maçonnerie. Plus récemment, en 1983, un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi « DÉCLARATION SUR L’INCOMPATIBILITÉ ENTRE L’APPARTENANCE À L’ÉGLISE ET LA FRANC-MAÇONNERIE » et signé par Joseph Ratzinger, futur Benoit XVI, a été clair, « les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion« . Ces dernières années, le Vatican a multiplié des sorties contre la confrérie. Fin octobre 2017, Johnny Ibrahim qui devrait diriger l’ambassade du Liban au Vatican a reçu une opposition ferme de François. Le pape argentin a tenu à ce que la Secrétairerie du Vatican notifie au gouvernement libanais que le refus est lié à son appartenance à la franc-maçonnerie. Chaque année, plusieurs dizaines de prêtres sont suspendus du fait de leur appartenance à une loge, le plus connu fut Pascal Vesin, de la Haute Savoie française, en 2013, qui n’a pas voulu quitter le Grand Orient de France et de facto est « privé du droit d’exercer son ministère« .
4- Il y a-t-il des « refus de requiem » précédents au Togo ?
De nombreux cas de « francs-maçons ayant bénéficié de la messe de requiem » ont pu exister au Togo avoue un évêque. Mais chaque fois que l’Église a connaissance, elle essaie de s’opposer afin « d’éviter le scandale public » pour reprendre une expression de Mgr Barrigah. Le dernier cas qui a fait couler de l’encre est celui d’Elom Dadzie. Ancien ministre des finances, son appartenance avérée à la franc-maçonnerie l’a privé de rites funéraires catholiques contrairement à son ferme et intransigeant désir testamentaire en 2019. Depuis, de nombreux maçons se sont faits discrets et dans l’entourage de Faure Gnassingbé, catholique pratiquant, ils sont de plus en plus nombreux à « appartenir secrètement à des obédiences étrangères » selon un ministre du gouvernement qui, bien qu’appartenant au Grand Orient de France, multiplie des dons et constructions d’églises catholiques dans le pays.
5- Pourquoi la décision de Mgr Barrigah fait grand bruit ?
La lettre de l’archevêque sur le cas Clomegah fait grand bruit d’abord parce que des web-activistes proches de loges ont pris d’assaut les réseaux sociaux, pour dénoncer le courrier. Ensuite, au gouvernement, à la tête d’institution et sur l’échiquier politique, ils sont très nombreux à appartenir aux loges tout en voulant des cérémonies funéraires catholiques. Enfin parce que compte tenu des relations parfois tendues entre l’Église et le pouvoir togolais, le refus de messe de requiem à une personnalité de ce rang est vite apparu comme une décision politique alors qu’il n’en est rien, Mgr Barrigah a juste suivi des recommandations du Saint Siège dans ce sens.
Mais quoi qu’on dise, il y a une obsessionnelle contradiction chez les francs-maçons à vouloir bénéficier des deux rites, maçonniques et catholiques, alors que l’Église les indexe comme « incompatibles ». Encore faudrait-il que l’Église dispose d’une liste exhaustive de ces milliers de francs-maçons catholiques pour éviter le deux poids, deux mesures.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France
Source : Icilome