Affaire Madjoulba : un règlement de compte caché derrière le procès ?

 

Dans un entretien exclusif accordé à Radio Avulété, la Voix du Peuple, Me Mawaba Balouki Songué, avocate du regretté lieutenant-colonel Bitala Madjoulba, exprime son scepticisme quant au procès en cours au tribunal militaire de Lomé concernant l’assassinat de son client. Selon elle, ce procès est loin de répondre aux exigences de justice et semble être davantage une supercherie judiciaire qu’une réelle quête de vérité.

 

 

Moi, je ne suis pas du tout satisfaite parce que ce procès n’est pas fait pour rendre justice au colonel Toussaint Madjoulba. Ce procès est fait pour régler des comptes entre anciens amis. Les accusés, les témoins, les juges qui sont là se règlent des comptes. Si c’était pour rendre justice au colonel Madjoulba, ça se serait passé autrement.

 

C’est un assassinat. Est-ce qu’on a besoin d’un militaire pour juger d’un assassinat. Je pense que c’est un gaspillage d’argent. On gaspille l’argent du contribuable togolais. Si c’est pour le dossier du colonel Bitala Madjoulba, un tribunal civil était largement compétent pour mener l’enquête et en juger. L’enquête par exemple a été bâclée. Là, on n’est au courant de rien. En plus un crime qui relève de la cour d’assise, on le fait à huis-clos. Ce n’est pas possible.

Maintenant, il y a des choses qu’ils peuvent faire. Par exemple mettre en place la police des polices. Parce que dans la cité, il y a la police et les gendarmes. Normalement, ils auraient dû mettre en place cette institution pour que les citoyens puissent se plaindre des exactions des policiers. Les militaires sont censés être dans les casernes. Les militaires sont là pour protéger les frontières de l’Etat togolais, mais les gens qui devraient être en contact permanent avec la population, c’est la police et la gendarmerie.

 

 

On vous voit très souvent faire des sorties en réclamant que justice soit faite sur cet assassinat. Et pour certains Togolais, Faure Gnassingbé a fait des efforts pour mettre en place un tribunal militaire pour que lumière soit faite. Est-ce que pour vous, c’est pour diversion ?

C’est exactement une diversion. Le premier sens du mot diversion, c’est une opération militaire destinée à détourner l’ennemi d’un point. On a mis en place un tribunal militaire pour détourner l’attention de l’opinion publique. Comme ça on parle de ce procès, on ne parle plus de vraies choses. Vu qu’on est dirigé par des militaires dans le pays, ils utilisent leur tactique. Depuis que l’on parle de tribunal militaire, tous les autres problèmes, plus personne n’en parle.

On sait que l’armée a pris trop de poids dans ce pays. L’armée aussi martyrise la population. Le tribunal militaire a clos jeudi dernier, l’audition des 19 témoins. Deux témoignages ont surtout retenu l’attention. Il s’agit des Col Tchakbera et le Col Yotrofeï Massina. Le principal accusé étant justement le Gal Kadangha. Si sa culpabilité est établie par le tribunal militaire, il est aussi beau-frère du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé, il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Pourquoi ce procès se tient-il maintenant ?

Sur cette question, c’est les instigateurs qui peuvent y répondre. Ce procès, je le dis encore une fois, n’est pas là pour rendre justice au Col Madjoulba. Et qui vous dit que le principal accusé, c’est le général Kadangha ? Des indiscrétions qu’on a eues, il est complice. Ils sont tous complices. Dans ce qu’on entend, il n’y a pas de principal accusé. Et en plus qui le désigne comme principal accusé ? Ceux qui sont partis faire les pratiques mystiques ? En plus, c’est lui-même qui a financé pour qu’on fasse les pratiques mystiques? Vous pensez que s’il est vraiment responsable, il va financer la pratique mystique ?

Si on vous dit comment l’instruction s’est passée, vous n’allez pas croire. Tout a été  fait en catimini. Il n’y avait pas d’avocat lors des auditions des accusés. Il n’y avait rien. Moi, j’en appelle à la création d’un vrai état de droit au Togo.

Vous êtes avocate. Ce procès qui se tient actuellement au tribunal militaire ne vous dit absolument rien ? On sent également lors des témoignages, une certaine animosité chez les officiers supérieurs.

Ils se renvoient la balle. L’un dit, c’est l’autre, l’autre aussi désigne quelqu’un d’autre. Au début, ils parlaient de complicité d’assassinat, complicité d’entrave et  atteinte à la sécurité intérieure de l’état. Je me suis demandé où est le lien entre les trois qualifications. Mais  maintenant, je commence à comprendre qu’au fait, ils sont en train de dire que le fait que le Gal Kadangha ait fait émettre des tracts contre les colonels Massina et Sogoyou, il voulait provoquer un soulèvement au sein des militaires pour perpétrer un coup d’Etat. Vous voyez que cette histoire est cousue de fil blanc. C’est n’importe quoi. Ils tentent de mettre du faux devant nos yeux pour camoufler le vrai. Ils ne rendent pas justice au Col Toussaint Madjoulba. Ils se règlent des comptes.

 

Les Togolais sont un peu surpris qu’au sein même de l’armée, il y ait eu une certaine animosité. Ils se regardent en chiens de faïence. On n’a jamais su que l’armée était tellement divisée.

Ça, tout le monde le savait. C’est de notoriété publique. C’est à l’image de la société togolaise. Les gens sont d’obédiences diverses.

Qui selon vous a instauré cette division au sein de l’armée togolaise, une armée qui bâillonne son peuple ?

C’est ceux qui règnent qui instaurent cette division pour pouvoir régner. Ce n’est pas nouveau. Ça date du temps du père. C’est une vieille méthode : diviser pour pouvoir mieux régner. C’est à l’image de la nation togolaise. La nation togolaise est divisée et les gens qui vont dans l’armée sont de la société civile avant de devenir militaire. Et ça se perpétue parce qu’au sein de cette même armée, il y a des pères, des fils. Le fils du Col Madjoulba, il est militaire ; il parait que la fille du Gal Kadandha est aussi militaire, etc.

Donc ça veut dire que cette animosité peut se transmettre de père en fils ?

Bien sûr. C’est une poudrière, notre armée. C’est pareil dans la société aussi. Juste que c’est maintenant que le public découvre qu’il y a autant de divisions.

Vous avez dit toute suite que c’est une supercherie, ce procès. Pour beaucoup de Togolais, au-delà de tout ce qu’on peut dire, le procès en cours au Togo, aurait un sens s’il peut apporter des réponses à quelques questions. Est-ce que ce procès sonne-t-elle la fin de l’impunité au Togo, puisqu’on sait que dans ce petit pays, tous les crimes en lien avec la politique sont restés impunis ?

Ce n’est pas la première fois qu’on juge des hauts gradés. Rappelez-vous, on a jugé le Gal Tidjani dans ce pays, c’était en plus avec Kpatcha et le commandant Atti. Je n’ai pas dit qu’ils ont planifié des choses, mais c’est juste pour dire que des hauts gradés ont été jugés. Chaque fois que le système ne veut plus de quelqu’un, il descend la personne. Ce n’est pas nouveau.

Ce n’est pas la fin de l’impunité puisque les abus de droit continuent. Il y a des gens qui sont en prison qui ne devraient pas y être et des gens qui sont dehors et qui ne devraient pas non plus. Ce n’est pas la fin du système. C’est juste un petit bout de personnes parce qu’on a plus besoin d’eux.  J’aimerais que le droit soit respecté un tout petit peu dans notre pays. C’est mon combat quotidien. Ils n’ont plus besoin de ces gens et on les enfonce. C’est tout. Il y a d’autres personnes qui vont prendre le flambeau et ça va continuer. On détourne l’attention des gens des vrais problèmes.

Est-ce qu’on ne donne pas de leçon à des militaires qui vont encore tenter de bâillonner le peuple togolais ?

Ça ne leur donne jamais de leçon du moment qu’ils sont bien vus par le Prince. Le message qu’on passe aux militaires, c’est taisez-vous. Parce qu’il y a plein de coups d’Etat qui ont eu lieu autour de nous. Donc, ça a bougé au tour de nous. Et ils sont en train de leur dire, si vous jouez au clown, vous allez voir.

Voulez-vous insinuer que Faure Gnassingbé craint un coup d’Etat au Togo ?

Quel président africain ne craint pas un coup d’Etat. Avec tout ce qu’ils font de mauvais vis-à-vis du peuple, qui ne craint pas un coup d’Etat ? Tous les pays où ça ne va pas, ils craignent tous d’être renversés par un putsch.

Certains Togolais pensent que ce procès peut permettre de briser la glace qui sépare l’armée togolaise de son peuple puisque l’armée togolaise a toujours bâillonné ce peuple qui a toujours lutté pour l’alternance politique au sommet de l’Etat au Togo. N’est-il pas temps que cette armée devienne une institution comme les autres ?

L’armée togolaise ne devrait même pas attendre ce procès pour être républicaine.  Il y a avait au temps du père une caravane réconciliation Armée-Nation. Ça n’a rien donné. Ils ne font même rien. Ils ne s’adressent pas à la nation. Ils sont entre eux et se réglent des comptes. Cette caravane dont je parle s’adressait à la nation, parce qu’il y avait un gros trou, il y avait un manque de confiance total et c’est toujours d’actualité. Ils ont juste gaspillé des sous en sillonnant Lomé à Dapaong, mais ça a changé quoi ? L’armée togolaise n’est pas une armée républicaine. Il faut que ça change.

Il nous faut des institutions fortes dans ce pays et ce n’est pas ce qu’on voit. Ce tribunal militaire sert juste à nous détourner de la réalité. On ne parle pas des gens qui meurent de faim. On ne parle pas des hôpitaux qui manquent de tout. On ne parle pas des écoles qui sont dans des états catastrophiques. C’est des sketchs, on regarde, on rigole. Les autres pays se moquent de nous.

 

Ce procès ne permettra jamais de connaitre les commanditaires de l’assassinat du colonel Madjoulba. Où sont les preuves de l’implication du Gal Kadangha et des autres dans l’assassinat ? Normalement, ces gens doivent tous sortir du tribunal parce qu’il n’y a aucune preuve concrète. A part les on-dit, il n’y a rien. Il est clair que ce n’est pas ce tribunal qui va vraiment rendre justice au Col Toussaint Madjoulba. Et les autres victimes des militaires, on fera un autre procès pour eux ?

Concernant ce procès, on est en procédure pénale. En procédure pénale, les deux avocats de l’Etat togolais sont là. Pourquoi, alors qu’il y a le ministère public ? Normalement, dans une procédure pénale à l’intérieur de son territoire, c’est le ministère public qui le représente l’Etat.

Est-ce que Faure Gnassingbé serait-il en train d’anticiper son sort en optant pour ce procès à travers lequel un coupable sera offert au public pour détourner son attention et faire passer son projet en douce.

De ce qu’on voit, l’Assemblée nationale est normalement en fin de mandature. Les élections seront organisées quand ? En 2025, il y aura des élections présidentielles. Comment cela va se passer ? Est-ce que Faure va se représenter ? On n’en sait rien. Moi, j’espère que non. Et s’il ne va pas se représenter, comment on va faire ?

Ceux qui suivent de près ce procès pensent également que Faure Gnassingbé veut faire un changement au sein même du systèmeEst-ce votre avis ?

Moi, je ne crois pas. Ce n’est pas un changement de personne dont on a besoin mais  un changement du système. Si on fait vraiment un procès pour voir ce qui s’est passé, M. Bawara devrait être entendu parce que quand les gens de Siou ont commencé à s’agiter réclamant le corps de leur frère, M. Bawara, selon les témoins, auraient dit à ses frères de Siou, arrêtez de vous agiter parce que vous ne savez pas ce qui s’est passé, le Col Madjoulba a beaucoup changé. Je suis parti le voir, je lui ai parlé et il ne voulait pas m’écouter. Faites attention, vous risquez d’avoir des problèmes. Qu’est-ce qu’il est parti dire au Col Madjoulba ? On ne pourra pas le savoir. C’était quoi leurs discussions ? Pourquoi il dit qu’il a beaucoup changé ? On aimerait bien le savoir.

Pour des Togolais, Faure veut commencer par opérer des changements et ça a commencé par l’organisation tous azimuts des sommets, notamment le sommet sur le panafricanisme. Vous avez suivi également le discours du ministre des Affaires financières, Robert Dussey à l’Assemblée Générale à L’Onu. Un discours apprécié par des panafricains. Une campagne de Robert Dussey pour soigner l’image du Togo à l’extérieur. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je vous dirai encore une fois que c’est de la diversion. On cherche à empêcher le public de s’intéresser aux questions essentielles. Notre pays va s’occuper de ce qui se passe au Mali, au Niger, etc. Il est d’abord, le président des Togolais. Il doit s’occuper de nous. Une fois qu’on est bien, il va s’occuper des autres.

Si Faure Gnassingbé aime bien les Togolais, pourquoi il garde encore en prison des prisonniers politiques ?

Le panafricanisme, ce n’est pas dans la bouche. Le panafricanisme, c’est tous les pays africains qui doivent se rassembler pour y arriver. Mais il ne faut pas que les gens profitent de ça pour essayer de redorer leur blason. On ne peut pas garder en prison des leaders d’opinion, des gens qui n’ont rien à y faire. Il y a plusieurs personnes qui sont en prison pour délit d’opinion. Et on va faire du panafricanisme dehors ?

Depuis le mois de mars, moi-même je suis menacé de mort, pourquoi ? Je reçois des courriers de menace de mort chez moi à la maison. Et maintenant, ce sont mes enfants qui sont menacés de mort.

Pour conclure cet entretien, je dirai que ce procès est à la fois une diversion et une supercherie. On est en plein dedans. Ce n’est pas parce qu’ils crient partout on est panafricain que ça fait d’eux des panafricains. Il faut arrêter d’amuser la galerie.

 

Est-ce que vous n’êtes pas très radicale ? Même Alain Foka a choisi le Togo pour installer son projet.

Il n’est pas Togolais et il ne sait pas ce que les Togolais vivent à l’intérieur. Il y a des Togolais qui n’arrivent pas à s’offrir deux repas par jour. Qui peut vivre avec 52.500 comme SMIG ? Ils ne savent pas comment vivent les Togolais. Des gens marchent pour aller au boulot.

Le monde judicaire du Togo doit se remettre en question. On n’a pas encore fini de régler ce problème et on nous crée un autre tribunal militaire. Le monde judicaire qui est là, assainissons-le d’abord. Même le président de la Cour suprême en avait parlé. Ça a donné quoi ? Rien. Même Faure Gnassingbé quand il est venu au pouvoir nous a dit qu’une minorité accapare les richesses. Après il a fait quoi ? Rien.

Propos transcrits par la Rédaction

Avec libertetogo.info