BIBISH MOLA « Ma liberté et mes convictions ne sont ni négociables ni à vendre »

 

 

 

Il est considéré comme l’un des meilleurs faiseurs de Reggae au Togo. Il a à son actif plusieurs albums et titres à succès. Très engagé aux côtés du peuple, il est difficile de le caser dans un camp car il n’a pas sa langue dans sa poche et tire sur tout le monde. Lui, c’est Bibish Mola. Dans le cadre de la celebration du 11 Mai, il a accepté répondre à nos multitudes de questions, même les plus complexes…Et surtout sans tabous…BIBISH MOLA dit tout et vraiment TOUT pour le plaisir de ses fans…Lisez plutôt…

 

 

 

 

 

Vous êtes l’une des plus grandes voix du Reggae Togolais, quelqu’un qui a tout pour rivaliser avec les plus grands noms de ce genre musical sur plan Africain. Qu’est ce qui fait, selon-vous, que jusqu’à présent vous n’explosez pas sur la scène internationale ?

Non, je suis plutôt la plus grande voix du Reggae Togolais en ce moment et je le revendique en toute humilité. Si non citez-moi le nom d’un seul reggae man togolais ayant fait plus de scènes que moi, sur le plan national et international. Si ma carrière n’explose pas véritablement sur le plan international, c’est parce que j’ai eu la malchance d’être togolais et surtout aussi parce que j’ai eu la mauvaise idée de revenir au pays après 11 ans d’aventure hors du Togo. Si jetais resté ailleurs, peut-être que je serais plus connu que ça. Aussi, comme tous les artistes, je suis victime du manque de politique de valorisation de la culture en général et de la musique en particulier au Togo. Mais, même si je ne suis pas assez reconnu sur le plan international, je ne me plains aucunement pas car j‘ai la chance de faire de grandes scènes qui me font gagner de l’argent sans trop de tapages.  L’autre aspect qu’il faut également relever, c’est qu’en Afrique principalement au Togo, l’impression qu’on a est que l’Etat, les sponsors et les promoteurs de spectacles encouragent plus les musiques qui amusent les jeunes au détriment de celles qui conscientisent les populations. Mieux, la dépravation des mœurs est financée et soutenue. Quand tu entends les jeunes chanter de nos jours, c’est que de la vulgarité. Les clips vidéos qui sont mieux regardées et promues sont celles qui exposent la nudité de la femme, l’argent et le bling-bling.  A titre d’exemple, tous les jeunes groupes et artistes du rap et reggae qui ont explosé au Togo au début des années 2000, ont tous disparu de la scène à cause des messages forts qu’ils véhiculaient. Moi j’ai dû me battre très fort avec une bonne dose de diplomatie pour réussir là où tous les autres ont échoué. Pour faire de la musique, après le talent, le style, il y a le plus important : c’est l’argent. C’est seulement avec l’argent qu’on peut produire des œuvres de qualités. Et quand on a une œuvre de qualité sous la main, il faudra la promouvoir et c’est aussi avec de l’argent qu’on peut faire une bonne promotion.

 

 

 

Et Pourtant vous avez une bonne discographie ! Parlez-nous de façon résumée de votre parcours et surtout de vos dernières sorties musicales, en date !

J’ai commencé mon  aventure musicale en 1994 par mon départ du Togo pour  Niamey au Niger.  Une fois dans ce pays, ma vie était rythmée par la plomberie le jour et la musique en cabaret le soir. Après 3 ans, j’ai senti le besoin d’entamer une véritable carrière musicale. J’ai donc rallié Ouagadougou où j’y ai créé le groupe « Afabens » dans lequel j’intervenais comme chanteur et guitariste. En 1997, j’ai pu sortir ma 1ère cassette de 8 titres à Ouagadougou. Le clip promo à été même bien diffusé ici sur la TVT. C’était au temps de Richard Lakpassa, Tony B Cool  etc…En 2003 je pose ma valise à Abidjan. Là, j’ai eu la chance de participer et remporter le concours  « Podium 2004 » avec un  groupe appelé « les Black feelings d’Adjamé ». J’avais même signé un contrat de production avec la structure Diskone du grand Koné Dodo mais la guerre ivoirienne a tout gâté et ce n’est qu’en 2006  que j’ai décidé de rentrer chez moi.  Et c’est avec mon single ZBT, un hommage à mon grand frère journaliste Kpegouni Zarifou, fondateur de la radio Tchaoudjo, ancien vice-président du HACAME à l’époque (paix à son âme) que  j’ai eu la chance d’être révélé au grand public togolais.  Avec cette chanson, j’ai pu détrôner Ras-Ly (rires) et je suis resté le pape du reggae togolais jusqu’à ce jour. Pour ce qui est de mon actualité, depuis mon dernier album en date, j’ai lancé plusieurs singles dont : Tous responsables, Président chauve souris, Chante ta libération, No koudoumo (union en Tem), le train de l’émergence, On veut avancer et d’autres.

En 2015, à la veille de la présidentielle, vous avez fait deux chansons de soutien en faveur du président Faure Gnassingbé, ce qui vous a valu des railleries sur les réseaux sociaux.  Mais quelques temps après, c’est un autre Bibish Mola que nous avons vu, très critique, très virulent à l’égard du pouvoir ? Qu’est ce qui n’a pas marché ? Comment expliquez-vous cette volte-face ?

Vous savez, avant 2015, l’image que les gens avaient de moi était celle de l’artiste engagé et surtout très critique envers les politiques. Et c’est pour cette raison qu’En 2015 j’ai subi des railleries à la sortie de ces deux chansons. Vous savez, en 2015, j’ai été le 1er artiste à lancer, le 1er Janvier de cette année, une chanson avec un clip vidéo sur les télés et réseaux sociaux, cette fameuse chanson intitulée ”Le train de l’émergence”, une belle mélodie que j’aime encore aujourd’hui. Il y a également eu une 2ème dont le titre est ”On veut avancer”.  Cette année là, vu ce que le président Faure avait déjà fait, et le programme de société qu’il nous proposait, j’étais convaincu et je me suis dit qu’il fallait qu’il soit confortablement réélu. C’est pourquoi j’avais décidé de le soutenir. Après avoir lancé la chanson, j’avais activement participé à la campagne électorale et pour que la logique ne soit complète, j’avais évidement voté pour lui. Pour tout vous dire,  c’était la toute première fois que je votais dans ma vie (sourire).  Dans le contexte politique de 2015, vu la cacophonie, la guerre de leadership et les travers de l’opposition, il était clair pour moi que Faure Gnassingbé était le moindre mal, donc l’homme de la situation.

Et si c’était à refaire, croyez-moi je ne me ferai pas prier. Je tiens à préciser que contrairement à beaucoup d’artistes, j’avais pris cette décision moi même et ceci plusieurs mois avant l’élection. A ceux qui pensent que c’est pour de l’argent que je l’avais fait, j’aimerais leur dire que je n’ai rien perçu pour le faire. C’est par conviction que je l’ai fait. Je n’ai pas non plus rasé les murs pour qu’on me donne une quelconque récompense. Parce que ce n’était pas mon objectif. Mais comme beaucoup de togolais, je me suis très vite rendu compte que tout ce beau discours et ces belles promesses de mandat social n’étaient qu’un leurre. Alors volte face? Je dirai non. Je l’ai soutenu car c’est ce que j’avais à faire en ce moment. Il avait été réélu, c’est bien et moi j’ai juste repris ma position du gendarme qui surveille et rappel à l’ordre. En conclusion, soutenir aujourd’hui parce que l’initiative est bonne et critiquer demain parce que l’initiative est mauvaise me parait logique et juste pour l’artiste engagé que je suis.

Alors que vous étiez toujours en séjour européen, votre  ton  vis-à vis du pouvoir a encore durci et vos sorties live sur les réseaux sociaux ne ménageaient aucunement pas le pouvoir. N’avez-vous pas subi des représailles? Paradoxalement, à la veille du scrutin de 2020, on vous a encore vu à Kara lors de la foire du paysan et à Sokodé pour semble t-il un meeting politique du pouvoir ….De quel côté êtes vous finalement ? À gauche ou à droite ?

Je ne suis ni à gauche ni à droite mais je suis juste du côté du peuple. Si non quel côté voudriez vous que je sois?  Ce que je recherche tous les jours c’est qu’on fasse le plus grand bien au plus grand nombre de togolais. Que cela vienne du pouvoir ou de l’opposition ou des gens qui n’ont rien à avoir avec la politique on s’en fou. L’essentiel est que ça fasse du bien à notre peuple. Et c’est suivant cette logique que j’avais soutenu Telefood 2019 organisé par le ministère de l’agriculture. Ce projet avait pour objectif de créer 1000 entreprises agricoles pour les jeunes. Si moi celui qui critique le gouvernement parce qu’il ne crée pas suffisamment de travail pour les jeunes, de surcroit un entrepreneur agricole, je ne soutien ni n’encourage pas une telle initiative, alors ça veut dire que je ne sais pas ce que je veux.  Donc je ne vois pas du tout le mal d’animer une soirée à la foire du paysan à Kara surtout qu’on me paie un cachet. Si c’est pour ça que certains ont conclu que « l’opposant que j’étais » est devenu « partisan du pouvoir », je crois qu’ils sont politiquement bornés. En ce qui concerne ma présence à Sokodé pendant les dernières campagnes, il faut d’abord savoir qu’avant la campagne, j’avais initié un projet de sensibilisation appelé en langue Tem N’DîDî NôKOUDOUMô DAA  en français DIFFÉRENTS MAIS ENSEMBLE. 3 mois avant, compte tenu de ce qu’a vécu ma ville natale (Sokodé), j’avais lancé une chanson en Tem (Kotokoli) dans laquelle j’appelais à l’union et au respect entre les jeunes et leurs aînés. Personne ne viendra construire notre maison à notre place alors il nous faut l’unité et la solidarité, même si nous sommes de bords politiques différents, tel est l’essentiel du message de cette chanson. Bibish Mola n’a soutenu aucun candidat aux élections de 2020. Oui j’étais à Sokodé le jour ou le président était passé pour la campagne. J’avais même lancé une vidéo de mobilisation à la veille de son arrivée parce qu’il était prévu que je passe un message au président. Mais pour une raison inavouée, l’on a refusé que je m’adresse au président. Et encore pour ça, les politiquement bornés ont préféré dire que je souffle le chaud et le froid. Moi je ne suis pas dans le radicalisme où on rejette tout de l’autre, où  on suit vaille que vaille un soi-disant leader politique, où un quelconque champion sans autocritique ni changement de méthode ni changement de stratégie et pourtant la politique est et demeure une science dynamique pas statique.  Retenez bien ceci : Moi Bibish Mola vis-à-vis de la politique politicienne comme celle qui se fait au Togo, je ne suis ni de la gauche ni de la droite ni du centre.  Pour moi, la politique en général et au Togo en particulier est un jeu dangereux, malsain, égoïste. Un jeu de mensonges, de vente d’illusion, de coup bas, de trahison etc… pour moi, tout homme politique est exactement ce que j’ai cité au dessus. S’il existe un bon politicien alors ils sont tous bons et s’il y a un qui est mauvais alors ils sont tous mauvais. Depuis 1990, nous avons confié notre lutte pour la démocratie aux politiciens. Aujourd’hui, je vous invite à faire un état des lieux. Les politiciens qui nous dirigent disent que le peuple est avec eux, et avec eux la démocratie viendra progressivement dans la continuité, sans partage avec les autres. Les politiciens qui aspirent à nous diriger disent aussi que le peuple est avec eux, et pour eux, ceux qui dirigent ont échoué sur toute la ligne et il faut qu’ils débarrassent complètement le plancher pour qu’eux autres viennent avec une nouvelle démocratie tout faite.  Après l’état des lieux, voici le constat : tout ce que le peuple togolais a gagné à la place de la démocratie c’est : la division, la haine, la trahison des hommes politique, la cupidité de ces politiciens, les promesses non tenues, plusieurs morts et des handicapés à vie dans les rangs de nos frères et sœurs dus à la barbarie militaire. Ajouté à cela, il y a le départ massif en exil économique et politique de nos frères et sœurs, la justice à double vitesse, la pauvreté et la misère dû au pillage de nos richesses par une minorité ( même si nous le savions, le président Faure nous l’avait rappelé dans un coup de com.), l’arbitraire etc… Moi Bibish Mola, je ne fais pas confiance aux politiciens, mon parti c’est le PEUPLE. Ce même peuple divisé, désabusé que revendiquent le pouvoir et l’opposition. Voilà pourquoi je ne marche pas derrière un quelconque leader politique. Voilà pourquoi je ne suis d’un quelconque parti politique. Par contre, ponctuellement, je peux soutenir une personnalité politique, si je trouve qu’elle fait ou voudrait faire quelque chose de positif pour le bien commun des Togolais.

Votre position acerbe vis-à-vis du pouvoir ne vous a t-elle pas crée des ennuis ? Surtout dans votre vie familiale, quand on sait que vous avez une épouse native de la famille Gnassingbé !

(Rires). Vous voulez tout savoir hein… très souvent les gens aiment parler des hommes publics sans vraiment connaître la vérité mais je vais vous éclairer un peu.

Oui, j’ai perdu pas mal d’amis, certains sont des officiers de l’armée d’autres des civils. Ils ont estimé que je représentais un danger pour eux à cause de mes prises de position politique. Certains m’ont même traité d’égoïste et cela m’avait fait vraiment marrer. De vous à moi, entre moi un artiste qui gagne déjà sa vie dans le secteur privé et qui risque sa vie dans la recherche du bien commun, et quelqu’un qui émarge au trésor public et qui se plait dans ce régime totalitaire et militaire, c’est qui  l’égoïste? Dieu merci,  tout ceci ne m’a pas affecté parce que j’ai réalisé que ces personnes n’étaient pas en réalité de vrais amis. Ils ont juste été dévoilés par Dieu, à mes yeux.  A part ça, je n’ai jamais eu d’ennuis de quelque nature que ce soit du moins pas pour le moment (rires). Et je viens même de passer une année entière au pays.

Parlant de votre épouse, une petite-sœur du président Faure Gnassingbé, Dites-nous comment et où vous l’avez rencontrée ? Comment l’avez-vous séduit et que devient votre relation aujourd’hui, après ces sorties acerbes contre le pouvoir incarné par son frère ?

Décidément ! Vous voulez tout savoir ! Nous nous sommes rencontrés à Lomé (rires). Vous savez pour des hommes comme moi, sans prétention aucune, c’est les femmes qui viennent vers moi hein…et moi je choisis celle qui me paraît meilleure. Certes, il arrive qu’on se trompe souvent sur le choix. Mais attention ceci n’est pas une insulte pour les femmes parce que moi j’aime plutôt les femmes qui vont chercher les hommes qu’elles aiment. Pour moi c’est une qualité. Je ne voudrais pas normalement répondre à cette question mais pour la postérité je vais le faire pour que vous compreniez à quel point la politique togolaise a détruit le tissu social de notre pays et surtout quel genre de personne je suis face à mes convictions.

En 2017, alors que nous étions dans notre 10ème année de relation, je décide de partir dans le mois de Mai en Europe pour des affaires concernant ma société agricole. En Août de la même année éclata les troubles sociaux politiques que tout le monde connaît. Alors que je me trouvais encore en Europe et comme d’habitude, j’ai réagi à travers des messages vidéos, audios et même avec une chanson dont le titre est ”chante ta libération”.  Sauf que cette fois-ci c’était contre le régime que j’avais supporté deux ans auparavant pendant les élections présidentielles. Au pays, cela a valu des menaces à mon épouse qu’il convient de designer dorénavant par mon ex. Ils estimaient que c’est elle qui m’encourageait, pour d’autres, moi je suis contre les Kabye, pour d’autres encore Me Atchadam est Tem (Kotokoli) comme moi c’est pourquoi j’ai changé de camp et blablabla…Pour finir mon ex m’a fixé 2 conditions : je demande publiquement pardon au chef de l’Etat et je ne me prononce plus jamais contre le régime et elle reste avec moi ; ou bien je continue par critiquer le pouvoir comme je le fais et elle me quitte. Malgré l’amour que j’avais pour elle, j’avais préféré qu’elle me quitte. Ma liberté et mes convictions ne sont ni négociables ni à vendre.

 

En véritable gentleman que vous êtes, avez-vous d’autres femmes, en dehors de la petite fille de Gnassingbé ? Combien d’enfants avez-vous eu avec elle ? Combien d’enfants avez-vous au total ?

Comme vous l’avez compris plus haut, je ne suis plus avec elle depuis 2017 et malheureusement ou heureusement nous n’avons pas eu d’enfants elle et moi. Mais moi j’ai 2 enfants, ma grande et belle fille Shebba de 21 ans qui étudie en Suède actuellement et mon champion Mola Adjib qui n’a que 4 mois. En vrai « Mola Kpakpatrou », chef canton, j´ai 2 femmes ;  une black et une white…voila vous êtes servis. (Rires)

 

Vous semblez vous intéresser depuis un moment à l’agriculture. Pourquoi ce retour à la terre ? Parlez-nous de cet autre côté de vous que beaucoup ignorent et dites nous ce que vous avez fait concrètement, à ce jour, dans le domaine agricole… !

La musique ne m’a pas donné des milliards mais elle m’a permis de gagner beaucoup d’argent et aussi de rencontrer beaucoup de personnes de qualités. Elle m’a permis de beaucoup voyager, d’avoir un bon niveau à l’école de la vie. Je suis un leader, un patron car lorsque j’organise un concert, j’emploie et je coordonne directement et indirectement plus d’une vingtaine de personnes. De la production à la distribution en passant  par la promotion de mes œuvres, c’est moi le directeur. Mais  pour assurer mes vieux jours, j’ai choisi d’investir d’une façon noble, correcte et intelligente dans ce que j’aime à part la musique et c’est l’agro-business.  J’ai choisi ce domaine parce que je fais parti de ceux qui croient que l’Afrique doit transformer ses matières premières sur place. Cela crée de l’emploi et de la valeur ajoutée à nos produits. C’est pour cette raison que j’ai crée depuis bientôt 5 ans, une société pour la transformation de certains produits agricoles principalement les oléagineux et certaines graines. J’ai même une marque de beurre de karité appelée « Kôzô ». Ma société s’appelle BIOVRT TOGO (la terre c’est notre richesse). C’est aussi dans le souci de participer activement au développement de ma communauté : créer la richesse en donnant de l’emploi aux gens. Il ne faut pas seulement critiquer les gouvernants mais il faut aussi proposer des solutions.

 

BIBISH MOLA

Durant ces dernières campagnes électorales, beaucoup de vos collègues avaient ouvertement appelé à voter le candidat Faure Gnassingbé. Est-ce que selon-vous, dans un pays comme le Togo, où une partie de la population appelle au changement alors que l’autre partie œuvre pour le changement dans la continuité, l’artiste a-t-il le droit de prendre vertement position et composer des chansons pour soutenir un candidat contre un autre ?

L’outil le plus important dans la recherche ou la conservation du pouvoir en politique c’est sans doute l’argent. Il y en a qui utilisent aussi la force mais ce moyen est malsain et doit être banni. Pour diverses raisons un artiste peut et a même le droit de prendre ouvertement position pour un candidat. Il peut même aller plus loin pour être carrément partisan d’un parti politique sauf que cela a des conséquences qui peuvent parfois êtres désastreuses pour sa carrière :

Pour des raisons économiques : tout le monde sait que les politiciens ont besoin de popularité et du soutien des gens influents. Cela passe par la propagande, les promesses, la vente d’illusions ou l’achat des consciences…Les artistes ont, a, des échelles variées une notoriété. Là où le politicien a du mal à mobiliser les gens ou à faire passer son message, un artiste le ferait facilement.  Donc l’artiste peut rendre ce service au politicien contre de l’argent ou d’autres avantages. Cela se fait par des chansons de soutiens, des animations dans les meetings et même la prise de parole dans certains rassemblements. Ce soutien peut se faire par affinité parce que le candidat est de sa famille, son ami, de son village etc… Enfin il y a aussi la conviction liée au programme de société proposé par le candidat. Mais j’avoue qu’au Togo, peu agissent par conviction.

 

Beaucoup d’artistes comme Ras-Ly, Fréderic Gakpara, Eric MC  etc…(hier), ont été censuré et « enterré » du fait de leur position critique vis-à-vis du pouvoir en place. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

D’abord toute personne qui voudrait prendre une position critique et même de combat vis-à-vis des politiciens devrait comprendre qu’il se lance dans une aventure dangereuse qui peut même lui coûter la vie surtout au Togo. La politique au Togo au lieu d’être un combat d’idées est plutôt devenu un combat de personne où lorsque tu t’opposes aux idées de quelqu’un, tu deviens un ennemi à abattre.  Donc si un artiste prend clairement position en faveur d’un parti politique, il est traité exactement comme son leader par l’adversaire. Sauf que souvent les leaders sont eux plus protégés que les simples militants qui sont souvent laissés à leur compte. Ceci dit je vais prendre cas par cas les exemples que vous avez cité.

 

Ces personnes comme beaucoup d’autres ont certes eu une position critique vis à vis du pouvoir mais avec des objectifs différents, des méthodes différentes et des stratégies différentes.

Ras Ly : artiste reggae man, sans toutefois me tromper, je crois qu’il a été le premier à chanter ouvertement contre le régime du feu Eyadema au moment où Gilchrist Olympio était encore un vrai opposant politique. Avait-il une vraie conviction dans sa position et dans ce qu’il chantait ? Je crois que oui. Savait-il jusqu’à quel point cela pouvait le nuire ? Je pense que non. S’était-il bien préparé pour recevoir et pour échapper aux coups du pouvoir qu’il combattait ? Je pense que non. Savait-il que les mercis et les encouragements du bout des lèvres, les promesses des opposants politiques ne feront pas de lui un artiste engagé de niveau international ? Je pense que non. C’est un artiste, normalement même censuré, un artiste engagé ne s’éteint pas…Donc pour Ras Ly, le problème est ailleurs. Je peux vous en dire plus mais ce n’est pas le lieu.

 

Frédéric Gakpara, je ne le connais pas assez mais je sais que c’est un grand humoriste. A t-il une vraie conviction dans son combat ? Je pense que oui. Savait-il jusqu’à quel point cela pouvait le nuire ? Je pense que oui. S’était-il bien préparé pour recevoir et pour échapper aux coups du pouvoir qu’il combat ? Je pense que oui. C’est pourquoi malgré la censure il n’a pas changé, il est debout, fort, droit dans ses bottes et fidèle à ses convictions. Son arme c’est sa bouche et il ne l’a jamais fermé.

 

Eric Mc : un grand frère et ami de très longue date. Artiste du Hip-Hop de la old school encore en activité. Il doit être le 1er  dans ce domaine si je ne  m’abuse.

 

Politiquement : A t-il une vraie conviction dans sa position et dans ce qu’il fait? Je pense que non. Parce que depuis plusieurs années Eric a milité aux côtés de l’opposition politique avec tous les travers de celle-ci que vous connaissez. Il était presque dans tous les regroupements de l’opposition et dans beaucoup d’associations dites de la société civile. Faite juste un tour sur sa page facebook cliquez sur ‘’à propos’’ et vous verrez.  Tout dernièrement avec le soulèvement de 2017, il était un membre influent du MAET (le mouvement des artistes engagés du Togo). On m’avait invité à être membre du MEAT mais j’ai refusé.  On voyait Eric MC partout, au nom du changement et de la lutte pour la démocratie, il a pris beaucoup de risques. Ça c’est respectable. Aujourd’hui, il a rejoint le camp du pouvoir et il a battu ouvertement campagne pour Faure. Pour ça je ne le juge pas car c’est son droit. Mais quand j’y pense, je me pose des questions sur ses réelles convictions et son objectif. Il n’a rien eu de tout ce pourquoi il se battait contre le pouvoir alors pour quelle raison a t-il rejoint le diable qu’il combattait ? Pire, il lance même des piques à ses anciens compagnons de lutte. C’est sans doute par déception et par vengeance contre les leaders de l’opposition. Pendant qu’eux les artistes risquaient leurs vies, les politiciens eux recevaient des mallettes d’argent et négociaient des postes. Je n’oublie pas Ras Sankara (à qui je renouvelle ma compassion) qui a failli perdre sa vie par balle de fusil au cours d’une des marches de la C14. Il y a aussi un autre jeune frère en prison aujourd’hui et aucun des leaders politique ni les chantres du changement de la diaspora qui les encourageaient de continuer ne fait  rien pour le sortir de là.

Si Eric Mc avait une vraie conviction dans sa lutte contre le pouvoir pour le bien du peuple, il pouvait quitter l’opposition et même la combattre mais sans rejoindre le pouvoir, selon moi.

Pourquoi selon-vous à part King Mensah, Toofan, le Togo peine t-il à compter d’autres stars de la musique internationalement connues ? Les ainés ont-il manqué de jouer le rôle qui était le leur ? Est-ce la faute à l’État ? Aux promoteurs ? Aux artistes eux-mêmes  ou au public ?

D‘abord l’expression ‘’ artiste internationalement connu’’  doit être comprise relativement  à des degrés différents. Par exemple quand on prend King Mensah,  Toofan , Peter Solo, Bibish Mola, Almok ils sont tous internationalement connus mais à des degrés différents.  Comme je l’avais dis plus haut, le talent seul ne fait pas un grand artiste, il faut aussi de l’argent. Si King Mensah est ce qu’il est aujourd’hui, c’est parce qu’en plus de son talent, il a eu pas mal de soutiens. Des contrats de sponsors avec des sociétés, (Togocel et d’autres par exemple), des mécènes etc.  Mais je pense sincèrement que King n’a pas fait grand chose pour le développement de la musique au Togo. Cependant c’est un grand monsieur humble, qui s’est  beaucoup donné et continue par se donner pour le bien-être des enfants orphelins ou déshérités. Mais pour la musique, à part sa florissante carrière, il n’a pas fait grande chose  pour aider la musique. Vous savez quand on est célèbre, en plus de représenter valablement et dignement son pays, il faudra pouvoir utiliser sa notoriété pour faire avancer les choses et permettre l’éclosion des talents à l’interne. Tous les grands chanteurs ont au moins un studio d’enregistrement. Mais King n’en a pas. Le studio crée du travail aux musiciens et reste un moyen efficace pour aider les jeunes talents qui n’ont pas de moyens de payer un enregistrement. King a un certain moment avec sa notoriété pouvait organiser un groupe d’artiste pondre un mémorandum qu’il ira présenter au Chef de l’Etat puisqu’il était un peu comme le chef de fil des artistes togolais. Mais non. Est-ce par manque d’idées ou bien le King veut rester le seul King à bord ?…Comment vivent les musiciens de nos grandes vedettes? Surtout en ce moment où le Covid-19 a mis ce secteur dans le coma. Oui, l’Etat a une très grande responsabilité : manque de vraie politique culturelle, manque d’infrastructures. On ne sponsorise que ceux qui chantent pour le pouvoir, bref les acteurs culturels que nous sommes sont considérés comme des amuseurs de galerie. Le niveau de la musique togolaise est tout simplement à l’image des promoteurs. C’est eux qui encouragent la médiocrité et la facilité, ils n’ont pas un carnet d’adresse bien fourni. Ils font croire aux jeunes que sans le promoteur l’artiste n’est rien alors qu’ils sont complémentaires. Je pourrai même dire que le promoteur et le manager sont des employés de l’artiste. Mais ça c’est quand tout marche. Paradoxalement ce sont les mêmes promoteurs qui tuent les artistes. Il suffit que l’artiste refuse que le promoteur coupe trop son gombo (cachet) et c’est fini il commence par lui mettre les bâtons dans les roues. Les artistes les plus malins et intelligents qui ont compris qu’ils n’ont pas d’avenir au Togo sont partis. La musique ne leur a pas donné de l’argent mais elle leur a donné un visa. Pour les artistes, à part le fait que certains pensent qu’il faut toujours suivre les tendances je pense que les jeunes se bredouillent bien. Et c’est dans ce cafouillage que les bons vont émerger.   Pour les Toofan, c’est la même chose, ils sont ce qu’ils aujourd’hui parce qu’un Mr a décidé de faire d’eux de grands artistes. Il a mis les moyens, il les a introduit là où il y a de l’argent au Togo, ils ont eu des contrats de sponsors (Togotelecom par exemple) pour ne citer que ça.  Et comme ils ont de l’ambition, ils ont fait de grandes productions et c’est parti. J’ai de l’admiration pour eux principalement Master Just qui est un bon musicien. Il joue à la guitare et il a un studio. Concernant le public, c’est vrai que ce n’est pas facile de le conquérir mais quand la musique est bonne et est accompagnée d’une bonne promotion, ça marche forcement.

Nous sortons d’une élection présidentielle qui est encore contestée par le candidat de la dynamique Kpodjro ? Qui selon-vous a remporté la présidentielle de 2020 ? Comment expliquez-vous sa victoire ?

Pour moi personne n’a gagné et personne n’a perdu. Tout simplement parce que pour moi, il n y a pas eu d’élection. Celui qui était au pouvoir a fait une formalité qui a aboutit au maintien du pouvoir.

Nous aurions appris que depuis 2016, vous avez toujours joué le rôle de conseiller aux côtés de Tikpi Atchadam, le président du PNP. Est-ce vrai ? Quelles sont vos relations à ce jour ? Savez-vous où il réside actuellement ? Pensez vous qu’il a réussi sa mission ou non ?

Hahahahah ! vous êtes bien informé hein..Mais ce n’est pas exactement ça. Je n’ai jamais été un conseiller de Me Atchadam.  C’est vrai qu’avant sa grande sortie sur le stade d’Agoé, en 2016, si ma mémoire est bonne, il m’avait invité chez lui pour une 2eme fois.  Et en présence de son secrétaire général,  il m’avait proposé de faire parti de ses conseillers politique. Mais je lui avais répondu que je n’étais pas prêt et surtout que j’ai du mal à suivre un politicien, par principe. Pour la petite histoire, Me Atchadam, je l’ai connu depuis mes années collège. Il est de la promotion de mon grand frère aîné, journaliste (paix à son âme). Ils militaient tous ensemble dans l’association des étudiants de Tchaoudjo. Me Atchadam m’a appris beaucoup de choses sur le panafricanisme et l’histoire de l’Afrique. C’est lui qui m’a donné le goût de lire des auteurs comme Cheikh Anta Diop, Senghor, Ahmadou Kourouma, Amadou Hampaté Ba et j’en passe. Si je sais où il réside ? Non je n’ai aucune idée. Si je pense qu’il a réussi sa mission ? Je ne saurai répondre à cette question parce que je ne sais réellement quelle était sa mission.

 

Quelles sont vos relations avec Agbeyomé Kodjo, François Boko et les cadres d’UNIR ?

Je n’ai aucune relation avec Agbeyomé Kodjo non plus avec Francois Boko. Par contre j’ai encore de bonnes relations avec certains cadres d’UNIR.  Je vais profiter pour vous dire pourquoi je pense que la politique ne doit pas nous diviser jusqu’au point d’être des ennemis.  Dans nos divergences d’idées le seul objectif doit être le développement de notre pays. Tenez, Mr Ouro Gbéle, actuel maire de la ville de Sokodé et moi sommes amis (moi je l’appelle grand frère) depuis plus de 30 ans. J’étais en classe de CM1 et à chaque fois que mon club faisait du récital ou présentait une pièce de théâtre aux affaires sociales de Sokodé, il était toujours là pour m’encourager. Moi presque tous les week-ends, j’allais rester avec lui dans son studio de jeune étudiant. Ensuite la vie nous avait séparés, chacun a continué son chemin ailleurs et depuis nous nous sommes retrouvés.  Il est actuellement le maire de la ville de Sokodé. Alors ma question est : dois-je rejeter cet ami et frère juste parce qu’il est d’UNIR? Si je trouve un projet de développement pour aider cette commune, dois-je refuser de le faire parce qu’il est d’UNIR ? Si lui me propose un projet pour le développement de la commune dois-je le refuser parce qu’il est d’UNIR ? Je combats un système mais pas des hommes. Et à chaque fois que j’irai à Sokodé, j’irai toujours le voir. Comme de vieux amis,  nous allons parler et rigoler et partager aussi nos vieux souvenirs. Ensuite comme Mr le maire de Sokodé, nous allons parler du développement de notre ville. C’est comme ça que moi je vois la démocratie.

 

 

Si quelqu’un de la famille UNIR devrait succéder à Faure Gnassingbé à la tête de ce pays à qui pensez-vous ? Dites-nous pourquoi ?  Et si cela devait venir de l’opposition ? A qui pensez-vous ?

(Rires) quelle question !…Pour succéder à Faure je ne sais pas qui ça peut être parce que je ne suis pas membre de ce parti. Du côté de l’opposition aussi, je ne saurai le dire  parce que je ne suis membre d’aucun parti de l’opposition.

 

Il y a quelques jours, Agbeyomé Kodjo, candidat malheureux à la présidentielle de 2020 avait été arrêté manu-militari à sa résidence pour troubles aggravés à l’ordre public, diffusion de fausses nouvelles, dénonciation calomnieuse et atteinte à la sureté intérieure de l’Etat. A-t-il mérité selon vous, l’humiliation qu’il a subi depuis son arrestation jusqu’à sa libération sous contrôle judiciaire ?

Non, il ne l’a pas mérité et je dirai même que son arrestation a été arbitraire.  Mais en politicien avisé, il savait ce qu’il courait comme danger parce qu’il connaît la maison (le régime). Sauf qu’il s’est trompé en pensant que ses partisans pourraient former un bouclier humain pour le protéger quand ça va chauffer. Pendant qu’on y est parlons-en de cette opposition qui est aussi le malheur du Togo. L’opposition togolaise est composée d’amateurs politiques,  de menteurs, de cupides, d’égoïstes prêts à trahir s’ils n’ont pas la place qu’ils veulent. Depuis que Gilchrist Olympio a vendu la lutte, ses lieutenants n’ont pas fait mieux.

L’un des comportements égoïstes qui a toujours miné la lutte de l’opposition c’est le refus catégorique des nouvelles personnes dans leurs rangs, pour la simple raison que ceux-ci avaient côtoyé le pouvoir ou qu’ils avaient géré avec le pouvoir. Ceux qui étaient acceptés étaient au 2ème ou 3ème rang. C’était le cas d’Agbeyomé. Lorsqu’il était rentré d’exil, il était farouchement opposé au pouvoir. Mais n’ayant pas trouvé la place qu’il pensait mériter dans l’opposition à cause des Fabre et consorts qui eux, disaient qu’ils sont restés sur place pour tenir la lutte et surtout que lui était avec le pouvoir, donc il ne peut pas débarquer et leur ravir la vedette. Dans cette querelle de leadership Agbeyomé a commencé par s’approcher de son ancienne maison. On le voyait régulièrement à leurs côtés au cours de certaines rencontres ou cérémonies. Mais là encore, il n’était pas confortablement assis parce que dans cette maison on dit toujours que celui qui a trahi peut encore le faire à nouveau.  L’opposition, de travers en travers, de querelles en querelles de cacophonie en cacophonie voit un jour surgir de nulle part un certain Me Atchadam. L’espoir renaît, et Atchadam sachant que seul il ne pourra venir à bout du pouvoir, avec humilité fit appel à Fabre, d’où la C14. La contestation a été grande et avait même secoué le pouvoir. Mais l’amateurisme, l’égoïsme, la cupidité, la trahison ont eu raison de ces opposants ou je dirai ces ‘’podosants’’. L’argent a coulé de gauche à droite, la répression, les menaces de mort du pouvoir aidant Me Atchadam malgré lui est parti en exil et le peuple épuisé trahi, qui a trop cru en ces leaders a vu, encore une fois, son alternance lui filer entre les doigts.  La suite tout le monde le connait.  Le régime a organisé son recensement, il est allé aux législatives, il a ramassé ses sièges à l’Assemblé Nationale, après il a organisé les locaux, il a ramassé la majorité des communes et pour finir, il a organisé les présidentielles et il a gardé son pouvoir légitimé par ceux qui ont participé à ses élections. Un opposant vrai, digne, respectable et honnête ne devrait pas participer à cette élection présidentielle…L’opposition togolaise dans son ensemble doit comprendre qu’elle ne se bat pas contre un régime politique civil mais un régime militaire et ça  depuis 1967.  Le président n’est qu’un panneau de signalisation qui montre au monde que le Togo est un pays démocratique dirigé par un civil mais au fond le Togo est dirigé par l’armée. Pour terminer je vais m’adresser d’abord au peuple togolais en disant ceci : tant que nous allons toujours penser que c’est forcement un leader politique qui doit incarner notre lutte pour la démocratie et l’état de droit nous resterons toujours dans la même situation. Le nombre de ceux (Le  président, les ministres, les députés, les maires, les préfets etc.) qui nous gouvernent ne dépasse pas 500 personnes sur une population de plus 7 000 000 de personnes. Alors si nous voulons réussir mettons les politiques sur le même banc et ne nous laissons pas embarquer dans leurs combat personnel.

 

 

Le 11 mai est considéré comme la fête en l’honneur de Bob Marley ou encore du Reggae, que peut-on retenir de ce genre musical et quelles sont les valeurs que devraient incarner un Rasta ? Étés-vous un Rasta dans la tête ou sur la tête ?

Depuis 2 ans, je crois, le reggae Jamaïcain est inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Ceci équivaut à une reconnaissance  internationale faite à cette musique pour service rendu à l’humanité. Le Reggae est une musique qui véhicule des messages de paix, d’amour, de justice, d’égalité entre les races, de résistance etc… C’est par ignorance qu’on désigne les cheveux crépus par le terme « rasta ». C’est d’abord des cheveux naturels des africains ayant des cheveux crépus. Et pour mieux l’expliquer aux gens,  je leur demande comment seront leurs cheveux s’ils arrêtent de se peigner et de les couper. Pour moi comme pour beaucoup d’autres, c’est une manière d’affirmer ma liberté, ma fierté et de respecter l’harmonie de la nature par ce que c’est par pour rien que la nature nous a crée comme ça. C’est avec l’objectif de nous enlever notre nature et notre dignité que les missionnaires et esclavagistes obligeaient les africains à se couper les cheveux. Et cela est resté jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, le paradoxe c’est que l’africain se coupe les cheveux naturels pour aller acheter des mèches en plastique pour se faire tresser des rasta…

Pourquoi Rasta, Reggae doit-il toujours rimer avec la consommation de la drogue ? Inutile de vous poser la question si vous en prenez ! (rires)

Il faut d’abord comprendre que rasta et reggae sont 2 choses différentes mais qui vont ensemble. Le Rastafarisme est une religion de nos jours. Pour un rasta, Haïlé Sélassié, de son vrai nom d’empereur, Ras Tafari Makonnen est la réincarnation du Christ donc Dieu. Et dans cette religion fumer la gandja (herbe naturelle), ce que vous appelez drogue est au centre de la doctrine. C’est d’abord un catalyseur pour les élever vers Dieu et en même temps une sorte d’encens. Oui j’ai été un grand consommateur de la gandja lorsque j’étais Rasta mais aujourd’hui je ne le suis plus.

 Vous semblez, depuis un moment,  vivre beaucoup plus en occident qu’au Togo. Doit-on désormais vous classer parmi les artistes de la diaspora ?

Non pas du tout !  je ne suis pas un artiste de la diaspora. J’ai une famille en Suède et une autre au Togo. Et puis je ne me consacre plus seulement qu’à la musique. J’ai d’autres activités. Je préfère beaucoup vivre au Togo et mon statut Européen me permet de rester au Togo ou en Europe quand et comme je veux.

Comment vivez-vous la pandémie au Covid-19 ? Vu que tous les artistes vivent un chômage technique depuis l’avènement de cette pandémie, Racontez-nous votre journée !

Comme tout le monde hein…seulement ici (Suède) nous ne sommes pas confinés la vie est presque normale. En ce moment ma journée rime avec le sport, l’apprentissage du suédois, je joue un peu à la guitare, j’entretiens les plantes du jardin et je passe du temps sur whatsapp avec mon fils et sa maman au pays. Depuis toujours l’Afrique a été considérée par les blancs comme le continent des maladies, alors ils ont passé leur temps à nous administrer de gré ou force des vaccins, depuis notre enfance. De ce fait je pense que la plus grande partie des africains sont immunisés contre certains virus donc… le Covid-19 (sourire). C’est peut être pourquoi l’Afrique est beaucoup épargné. Sans compter la pharmacopée que nous prenons tout le temps…Ceci dit le Covid 19 existe bel et bien. Il faudra donc respecter les gestes barrières.

Dans le cadre de la lutte contre pandémie du CoronaVirus, le gouvernement  Togolais a lancé Novissi pour venir en aide aux familles vulnérables. Quel est votre sentiment vis-à-vis de cette disposition ?

L’idée en elle même n’est pas mauvaise mais la manière dont cela est fait est simplement bidon. D’abord je ne partage pas l’idée qui a consisté à faire de la carte d’électeur, la seule condition pour bénéficier de cette aide. Pour l’avoir, cela relève d’un véritable parcours de combattant. Conséquence, beaucoup de personnes vulnérables ne bénéficieront pas de cette aide. Il y a même beaucoup de gens qui pensent que c’est politisé.

Il y a quelques jours, vous avez assisté tout comme nous à des clashs et injures entre Gogoligo et Adebayor Sheyi, à la divulgation des conversations privées de Gogoligo par Zaga Bambo, sur les réseaux sociaux…quelle analyse faites-vous de cette situation malheureuse ? Que pouvez-vous leur donner individuellement comme conseil ?

Ceux sont des querelles de personnes et moi ça ne me concerne pas vraiment. Mais j’ai eu à intervenir juste sur la réaction des gens qui  en voulaient à Adebayor pour son refus de faire un don pour aider la chaîne de solidarité par rapport au covid 19.  Je suis parti de ça pour  dénoncer cette manière que nous avons au Togo de se mépriser. Je ne défendais pas spécialement Adebayor mais je trouvais, injuste que les gens se comportent de la sorte sur le bien personnel de quelqu’un. Maintenant qui suis-je pour donner des conseils à ces personnes qui ne sont pas des enfants. La vie est comme un véhicule sur la route. Le véhicule dispose des phares pour voir et se faire voir, 3 rétroviseurs pour surveiller derrière. Et la route dispose de feux de signalisation. Quand le feu est rouge on s’arrête, quand il est jaune on ralenti et quand il est vert on roule. Il y a la limitation de vitesse etc…. Par ce schéma, je voulais juste dire que la vie est un ensemble de codes, quand on les respecte bien, on vit sans problèmes et quand on ne les respecte pas on se casse souvent la gueule.

Quelle lecture faites-vous de la relation Afrique (TOGO)-France et Afrique(Togo)-CHINE ?

Quand on sait lire sur et entre les lignes, on comprend aisément que la France-Afrique a changé de forme mais le fond reste le même.  La France est le marionnettiste et les chefs d’Etats africains les marionnettes. La France dans son hypocrisie et son obsession de piller nos richesses ferme les yeux souvent sur les exactions, les restrictions de liberté et la dictature. Dans certains pays comme le Togo par exemple, elle avance le prétexte que ce n’est pas à la France de donner des leçons aux pays africains. Mais nous savons tous que c’est de la pure hypocrisie car c’est elle qui tire toujours nos chefs d’Etats par le nez. Au Togo, la France sait très bien que le régime n’est plus crédible aux yeux des togolais. Et pire, c’est un régime de plus de 50 ans. Ceci constitue une anomalie de démocratie. Mais en raison des gros intérêts qu’elle a chez nous, elle joue la neutralité.  A propos de la relation Afrique (Togo)-Chine, il faut noter que par principe, les chinois ne se préoccupent pas des problèmes de droits de l’homme, de démocratie, de corruption etc…donc vous comprendrez que cela arrange les chefs d’Etats africains, sauf qu’en se tournant vers la chine l’Afrique ‘’vend le chien pour acheter le singe’’

Qu’est ce qu’il faudra faire selon-vous pour restaurer la musique togolaise et assurer son rayonnement sur le plan international ?

Il faut doter le Togo d’un vrai palais de la culture. Il faut également monter un grand festival de la musique qui se tiendra chaque année au Togo. Les promoteurs doivent cesser de croire qu’ils sont plus importants que les artistes. Les promoteurs culturels du Togo doivent  respecter les artistes togolais en leur donnant de vrais cachets et en leur déroulant le tapis rouge comme ils le font pour les étrangers. J’ai encore mal de la manière dont on a traité King Mensah et les Toofan au concert live du groupe Kassav, en Décembre dernier. Ceux qui y étaient peuvent en témoigner. Il faut qu’il y est au sein de la diaspora des gens qui se lancent vraiment dans le management des artistes avec un réseau d’organisateurs de spectacles en Afrique, en Europe et ailleurs pour les positionner< sur de vraies scènes. Il ne faut pas seulement les inviter dans de petites soirées où même on demande à l’artiste de payer son billet d’avion. On n’a pas de manager au Togo, nous n’avons que des coursiers.

Vous avez fais une chanson dans laquelle vous avez montré votre passion pour l’actualité et aussi les médias. Cependant vous avez traité certains de pyromanes. Est ce que ce n’est pas trop fort? Quel regard portez-vous sur la presse togolaise dans son ensemble et son travail? Si vous avez un mot à l’ endroit des journalistes ce serait le quel ?

Oui la chanson en question a été conçue en 2013 mais elle reste toujours d’actualité. Dans cette chanson je disais en substance que les journalistes doivent informer et non déformer et qu’on a l’impression que certains sont des pyromanes. Le fait de vous avoir traité de pyromane est justifié par l’exemple du  génocide Rwandais. Inutile de vous rappelez que ce génocide a été causé par des journalistes.  J’ai résumé mon regard sur la presse togolaise dans une chanson intitulée « Journaliste Trottoir ». Elle est déjà enregistrée et sortira bientôt. Les journalistes au Togo sont à l’image des politiciens. Il n y a que la politique qui les intéresse par ce que c’est là-bas qu’ils peuvent trouver de l’argent. Ils ne sont pas nombreux ceux qui font des analyses objectives. Si j’ai un message à l’endroit des journalistes, c’est de les inviter à faire correctement leur boulot et de cesser de penser qu’ils sont les faiseurs de roi. Je termine en présentant nos excuses à tous ceux dont nous avons appelé les noms dans cette interview. L’objectif n’est pas de parler mal d’eux mais ceci répond à un souci de situer clairement l’opinion et aussi les fans.

 

 

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