L’aptitude à tirer rapidement les leçons des expériences plus ou moins heureuses, ou plus ou moins malheureuses qu’elles vivent est l’une des principales qualités qu’exigent de leurs dirigeants les peuples des nations qui avancent. Et vous nous parlez,aujourd’hui, des États-Unis et du deuxième impeachment qui vise Donald J. Trump.
Pourquoi soutenez-vous que l’Afrique aurait des leçons à retenir de cette procédure ?
Avant tout, l’Amérique, avec ce président-là, aura compris qu’il suffit d’un homme, d’un seul, et de si peu, pour faire sombrer une grande démocratie. Mais, les Américains découvrent, avec l’élection de Joe Biden, à quel point un peuple a besoin d’un dirigeant digne de confiance pour, sinon sauver la nation, du moins restaurer sa dignité.
S’il est, pour l’Afrique, une leçon à retenir de la mise en accusation de Donald Trump, c’est que même le plus puissant des dirigeants politiques ne doit et ne peut échapper aux conséquences des actes répréhensibles qu’il
commet contre la nation, contre les institutions. Davantage que l’humiliation que subit le président sortant, c’est l’échec infligé à sa certitude d’impunité qui intéresse les Africains et, plus encore, l’aptitude des Américains à tirer rapidement les conséquences des crimes et graves atteintes aux institutions.
Il devra répondre de ses actes, même si les grâces qu’il accorde vont essentiellement à ses proches, comme dans les républiques bananières qu’il semble tant mépriser ! Pour revenir à notre Afrique, il est vrai que l’on s’y habitue trop souvent à toutes sortes d’anormalités, en répétant les mêmes erreurs, en perpétuant les mêmes mauvaises habitudes. Toute l’existence des nations revient à affronter des difficultés Sud mille fois rencontrées, dont on a simplement oublié de tirer les leçons. Tel Sisyphe derrière son rocher, alors, les nations, peinent à progresser. Ici, la justice, otage de magistrats corrompus et ou aux ordres, qui poussent les avocats à se demander à quoi il leur sert d’avoir étudié le droit. Là, l’éducation, la santé, pourtant vitales pour bâtir des citoyens de qualité, sont reléguées au fin fond des priorités de gouvernements qui semblent avoir oublié qu’un esprit sain, dans un corps sain, est essentiel au progrès de l’humanité.
Dans quel cas, par exemple, une nation africaine n’aurait elle pas tiré les leçons de ses épreuves…
Les exemples sont légion ! Ces dernières semaines, l’actualité politique, en Côte d’Ivoire, a pu donner aux Ivoiriens bien des frayeurs, poussant certains à fuir, par milliers, vers les pays voisins. L’Afrique s’en est émue.
La communauté internationale, aussi. La frayeur de 2020 a été, pour nombre d’Ivoiriens, l’occasion de s’interroger sur ce qui a été fait, depuis dix ans, pour prévenir des crises du même ordre que celle de 2010. Si le contexte géopolitique sous-régional n’avait pas changé, si les rôles avaient été inversés, et que certains des protagonistes avaient pu bénéficier des mêmes soutiens, une nouvelle guerre aurait éclaté. Les nations qui avancent sont celles qui, des dysfonctionnements de leurs institutions, savent tirer les leçons qui s’imposent, pour concevoir des textes et instaurer des mesures propres à dissuader les aventuriers et autres apprentis sorciers.
En Côte d’Ivoire, il y a tout de même eu des efforts de réconciliation !…
Bien sûr, une commission vérité et réconciliation, confiée à un Ivoirien de très grande envergure. Mais a-t-il eu les moyens et le pouvoir que requiert la réalité d’un tel chantier ? Laurent Gbagbo, le président sortant, sorti du bunker par les canons et les chars, pour être expédié vers la Cour pénale internationale, à La Haye, va devoir rentrer, après dix ans de prison, sans aucune condamnation. Dix mille passeports ne suffiront pas pour lui ôter le sentiment de cette même terrible injustice que proclament ceux d’en face, pour qui les mauvais ne sont que les autres. Ils incarnent une triste réalité : les Ivoiriens n’ont jamais eu autant besoin d’être réconciliés.
Source: rfi.fr