La junte avait annoncé après le putsch l’arrestation de hauts dignitaires du régime Bongo. Ils étaient accusés de « haute trahison contre les institutions », « détournement massif des deniers publics », « malversation financière internationale en bande organisée », « faux et usage de faux », « falsification de la signature du président », « corruption active » ou encore « trafic de stupéfiants ». Une enquête a été ouverte et les autorités le font savoir.
Des vidéos ont commencé à être diffusées, notamment sur les médias publics. On y voit par exemple Ian Ghislain Ngoulou, ex-directeur de cabinet de Nourredin Bongo, le fils du président déchu, aux côtés de Nourredin Bongo lui-même. Tous deux l’air abattu. On y voit des images de sacs et valises remplis de billets.
Interrogé, Ian Ghislain reconnaît que l’argent était dans son salon. Il explique qu’il s’agit de fonds de campagne. Mais il ne connaît pas la somme totale ni d’où l’argent vient. Agacé par les questions, il stoppe ensuite l’entretien. La presse parle de 4 milliards de francs CFA.
Même séquence aussi chez Kim Oun, qui est donc visiblement lui aussi aux arrêts. C’est le chargé de mission de Sylvia Bongo, l’épouse d’Ali Bongo, dont on ne sait pas encore où elle se trouve. On voit l’homme assis devant une malle pleine d’argent liquide. Il explique que cette pièce avait été mise à disposition de la cellule financière et qu’« ils ont les clés du coffre », sans préciser qui. « Ils entrent et font ce qu’ils ont à faire. Je ne connais pas le montant, je ne sais pas à quoi l’argent servait. » En fait, le bureau serait rattaché directement à la Première dame.
Enfin, troisième séquence chez Mohamed Ali Aliou, ancien directeur de cabinet adjoint d’Ali Bongo. De l’argent a aussi été trouvé chez lui. « Celui qui me payait connaît les chiffres », dit-il à la presse, sans plus de détail.
Ce sont donc tous des membres du premier cercle autour d’Ali et Sylvia Bongo, le président et son épouse, qui sont jusqu’ici arrêtés. Beaucoup font partie de ce qu’on appelle la « Young Team », une nouvelle génération de collaborateurs qui a émergé ces dernières années.
La question du rôle prêté à Pascaline
Selon un chercheur, en amenant la presse sur ces opérations, « la junte veut frapper fort et montre qu’elle souhaite démanteler le système et en même temps renforcer sa crédibilité aux yeux des populations qui ne voulaient plus du camp Bongo. Mais les putschistes réussiront-ils à changer le système ? », demande ce connaisseur du Gabon.
En effet, Albert Ondo Ossa, candidat d’opposition, a dit que le chef de la junte était un produit du système et que derrière lui se trouvait une partie de la famille Bongo qui souhaiterait perpétuer le système, et il cite notamment Pascaline Bongo, la sœur d’Ali Bongo. Il dit avoir des preuves de son rôle dans le coup d’État, même si pour l’instant, on en reste au stade des spéculations.
On sait que leurs relations n’ont pas toujours été bonnes. Il y a eu des tensions notamment pour partager l’héritage de Bongo père, Omar, l’ex-président à sa mort en 2009. Le général Oligui Nguema connaît bien Pascaline, il était l’aide de camp de son père quand elle était cheffe de cabinet de ce dernier. Elle et le nouvel homme fort à Libreville « l’ont accompagné jusqu’à la fin de sa vie et sont donc restés liés », indique une bonne source.
Mais selon un observateur, « Pascaline est invisible, elle n’apparaît pas en public. Et la relation entre Ali et Pascaline n’a pas été remise en cause récemment. » « Cette accusation dépasse nos arrangements. On ne peut pas balancer des noms sans élément probant », confie un membre d’Alternance 2023, pour qui Albert Ondo Ossa a peut-être été dépassé par sa frustration de ne pas être président.
Il est vrai que c’est Pascaline qui gérait la fortune du patriarche, et qu’à sa mort en 2009, lorsque Ali lui avait succédé, il l’avait écartée. Il reprocherait à l’aînée de la fratrie un manque de transparence. Mais surtout, il voulait mettre la main sur le patrimoine colossal du père.
Cette succession a entraîné tensions et ressentiments. Alors, le coup d’État serait-il une vengeance ? « C’est prêter beaucoup de poids à Pascaline, d’autant qu’on la voit très rarement en public et qu’elle n’occupe aucun poste officiel », abonde encore un politicien gabonais. Le putsch viendrait-il d’un groupe plus large faisant partie du clan Bongo, notamment de ceux frustrés par les choix d’Ali Bongo dans les distributions de postes ? « Ils ont des positions stratégiques et peuvent se coaliser. Mais pour l’instant, c’est juste une théorie comme une autre », insiste un observateur.
Le sort de l’épouse Bongo en suspens
Si le désormais ex-président est en résidence surveillée, on ne sait pas vraiment où se trouve la Première dame. Ses avocats ont néanmoins porté plainte à Paris pour détention arbitraire. Pour eux, les conditions de privation de liberté de Sylvia Bongo et de son fils cadet Jalil ne sont pas compatibles avec l’État de droit. Le parquet national antiterroriste est saisi.
Aucune circonstance politique, aucune raison ne peut justifier qu’on s’en prenne à des personnes de cette façon, en s’affranchissant de toutes les règles élémentaires d’un procès équitable.
Me François Zimmeray, l’un des avocats de Mme Bongo