Fermeture du compte d’opérations de la BCEAO : une bonne nouvelle, mais pour quelle suite ?

Le 6 avril 2022, la revue Ecofin publiait sur le site du Trésor Public de Côte d’Ivoire un article intitulé « Tutorat financier : La BCEAO ferme ses comptes logés au Trésor Français ».

 

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En substance, l’article, s’appuyant sur une lecture très superficielle des états financiers de la BCEAO au 31 décembre 2021, conclut que : « Le compte d’opérations de l’UEMOA a été clôturé et les ressources qui y étaient déposées ont été investies ailleurs. Toutefois, le premier bilan de la gestion de ces avoirs en devises n’est pas très positif (…). La clôture du compte d’opérations est restée longtemps une revendication de personnes qui militent contre le FCFA. Cette option politique tarde pour le moment à prouver sa pertinence. »

 

Cette conclusion hâtive, seulement un an après la clôture du compte d’opérations, disqualifie d’emblée l’option politique opposée au FCFA en raison de son rendement financier supposé. Ce faisant, elle réduit le sacrosaint principe de souveraineté et son corollaire selon lequel ce compte était en réalité un instrument d’exploitation des pays membres de la zone franc par la France, à un banal bilan comptable, par ailleurs très mal analysé, comme nous le démontrerons plus tard.

 

 

 En bref, l’article estime, qu’au vu de la rémunération plus faible des réserves de la BCEAO en 2021, il aurait fallu maintenir le compte d’opérations. Un jugement sommaire, insuffisamment motivé, qui n’offre par ailleurs aucune hypothèse quant à ce qu’aurait été le rendement de ce compte, s’il avait été maintenu, au vu de l’évolution des marchés financiers en 2021. En outre, il occulte totalement la question incontournable et d’une évidence ballante, de la qualité de la gestion de ces réserves.

Dans ces conditions, il n’est pas inutile, de s’interroger de façon plus approfondie sur cette fermeture du compte d’opérations et sur la gestion des réserves qui s’en est suivie.

 

1. Où sont les stocks d’or de la BCEAO ?

Les réserves déposées par la BCEAO auprès de la Banque de France ne portent pas que sur le compte d’opérations. Elles comprennent aussi son or et ses autres avoirs en devises. Selon l’audit de ses états financiers, la plus grande partie du stock d’or de la BCEAO est restée à la Banque de France. À la fin de 2021, sur un stock d’or estimé à 1.460.838 onces soit environ 45,5 tonnes, seulement 3 tonnes (6%) étaient conservées dans les coffres de la BCEAO, tandis que 33 tonnes (72%) étaient à la Banque de France et 7,5 tonnes (16.5%) à la Banque des Règlements Internationaux, et le reste dans des comptes poids d’or.

Il faut rappeler que les partisans de la fermeture du compte d’opérations dont les positions sont incompatibles avec ce type de demi-mesure, demandent également le rapatriement de toutes les réserves de change en or comme en devises détenues en France pour pleinement acter l’option politique qu’ils défendent. Le compte d’opérations étant un compte de réserves de change, ce « détail » est essentiel.

2. La tendance baissière des produits d’intérêts n’a pas commencé en 2020

Il est vrai que la clôture du compte d’opérations a eu pour conséquence la disparition de la rémunération dudit compte par le Trésor public français.

Déjà entre 2019 et 2020 les avoirs de la BCEAO dans le compte d’opérations avaient baissé de 2% passant de 6.252 milliards FCFA à 6.156 milliards. Mais alors que le compte s’était contracté de 96 milliards, le produit d’intérêts versés par le Trésor Français à la BCEAO pour la même période, baissait de 9% passant de 26,5 milliards FCFA à 24 milliards FCFA.

Durant la même période, la BCEAO doublait ses avoirs auprès du FMI de 653 milliards à 1.319 milliards FCFA, un accroissement de 666 milliards alors que les produits d’intérêts reçus du FMI étaient divisés par 3 passant de 8,7 milliards à 2,8 milliards !

 

 

Il en est de même pour le résultat net d’intérêts qui n’a d’ailleurs pas commencé à baisser avec la clôture du compte d’opérations mais dès 2020 quand il est passé de 241milliards FCFA en 2019 à 185 milliards soit une baisse de 23%.

Peut-on alors logiquement questionner la pertinence de la mesure politique de la clôture du compte d’opérations et accuser ceux qui la réclamaient de n’avoir pas anticipé qu’elle allait réduire les résultats nets d’intérêts de la BCEAO ? Certainement pas ! En revanche, Il parait légitime de questionner la pertinence du jugement posé par l’article d’Ecofin.

 

En effet, la clôture du compte d’opérations n’est pas en elle-même la cause de la contraction sensible des produits d’intérêts de la BCEAO. Ce qui est en cause, c’est le système de gestion de trésorerie adopté par la Banque Centrale et sa capacité à gérer convenablement ses réserves de change sans le Trésor Public français au moment même où son gouvemeur est promu vice-président de la RCI.

 

3. Qu’a donc fait la BCEAO de ses réserves de devises précédemment logées dans le compte d’opérations ?

Au 31/12/2020, l’ensemble des avoirs en monnaies étrangères de la BCEAO s’élevait à 8.695 milliards de FCFA. De ce montant, le compte d’opérations à lui seul recueillait 6.156 milliards. À la clôture du compte même si les états financiers ne dévoilent pas, pour des raisons de confidentialité, le nom des institutions financières qui ont reçu les dispatchings de ces avoirs, on note que ce sont des correspondants bancaires et des portefeuilles de titres qui en reçoivent la majeure partie soit respectivement 3.880 milliards et 4.776 milliards. Ces allocations correspondent à une hausse de 455% pour les premiers et 322% pour les seconds.

❑ À la Banque de France le solde du compte ordinaire de la BCEAO augmente de 130% entre 2020 et 2021, passant de 147 milliards FCFA à 340 milliards soit une augmentation de 192 milliards FCFA.

 

❑ Les dépôts à vue et à termes et les prêts interbancaires qui étaient de 219 milliards en 2020 se sont annulés ;

❑ Les comptes ordinaires chez les autres correspondants dont l’identité et le pays ne sont pas divulgués ont reçu 3.208 milliards, ce qui correspond à une hausse de 966% et les placements sur ces comptes passent de 332 milliards à 3.540milliards.

❑ le portefeuille de titres détenus par la BCEAO s’est accru de 3.643 milliards de FCFA pour atteindre 4.776 milliards, une hausse de 322% par rapport à son niveau de 2020 qui était à 1.133 milliards FCFA.

Ce portefeuille de titres contenait des bons du trésor des pays de l’OCDE et des obligations des agences et institutions monétaires intemationales. Ces actifs rapportent des intérêts à la BCEAO en attendant le remboursement du capital. Ces bons du trésor, pour une large part libellée en Euros explose, augmentent de 1.265%. Ils ont clairement la préférence des gestionnaires de la trésorerie de la BCEAO sur les obligations d’État dont les montants ont baissé.

Une partie des actifs de portefeuille, qui représentent une faible part(11,4%) des avoirs extérieurs, sont évalués à leur valeur de marché et donc exposés au risque de taux d’intérêt. Selon le rapport d’audit des états financiers de la BCEAO « (…) ces instruments financiers sont exposés aux risques de taux d’intérêt. En pratique, cela signifie qu’une augmentation des taux d’intérêt sur les marchés financiers entraîne une perte lors de la réévaluation d’un titre évalué en juste valeur par résultat et inversement. Le risque de taux d’intérêt sur le Fonds de liquidité, constitué de titres évalués en juste valeur par résultat et qui fait l’objet d’une gestion active, est géré de manière relative par rapport à un portefeuille de référence ou « benchmark » dont les caractéristiques traduisent les choix à moyen terme du couple risque/rendement de la Banque Centrale

La mesure du risque de taux d’intérêt est effectuée au travers de la duration qui est définie comme la durée moyenne pondérée pour récupérer entièrement le capital et les paiements d’intérêt. » Dès lors, une augmentation des taux d’intérêts sur les marchés financiers des pays émetteurs de ces actifs entrainera une perte au moment de l’évaluation des titres constitutifs du portefeuille et vice versa. Seulement 992 milliards, soit 21% du portefeuille de titre, étaient concernés par ce risque d’intérêt.

o Une autre partie plus conséquente des avoirs extérieurs de la BCEAO,soit3.472 milliards (39,9%) est constituée de bons du trésor et de valeurs assimilées évalués au coût amorti. La banque explique dans ses notes que « Ces actifs financiers sont réévalués selon la méthode du coût amorti sur la base du taux d’intérêt effectif, qui lui-même est déterminé à la date d’acquisition du titre. Ainsi, la variation des taux d’intérêt sur les marchés financiers n’a pas d’influence sur la comptabilisation de cette catégorie d’actifs, sauf en cas de cession anticipée. Il s’agit principalement du portefeuille d’investissement constitué en majorité de titres souverains de la zone euro et des Etats-Unis présentant des risques de pertes attendues peu significatifs. »

Sans vouloir disserter ici sur cette pratique comptable désuète d’amortissement des variations de valorisation, par ailleurs admise par les normes IFRS, la BCEAO a donc choisi d’investir dans les titres souverains de la zone Euro et des États Unis, qui présentent un risque de crédit faible.

 

Le principal risque financier que la BCEAO doit gérer sur son portefeuille est essentiellement le risque de marché. Les actifs en portefeuille sont très faiblement concernés par les risques de liquidités, les risques de crédit ou les risques stratégiques compte tenu de la nature et de la notation des pays émetteurs des titres achetés par la BCEAO. Parmi les risques de marché, le risque d’intérêt est plus important que le risque de change vu que le portefeuille est constitué essentiellement de titres en Euros (90,5%) et de manière résiduelle, en dollars (9,5%). Les réserves de changes placées dans cette catégorie de risques le sont pour l’essentiel sur des actifs dont les échéances sont supérieures à 5 ans (2.907 milliards FCFA).

Un placement de 313 milliards, en hausse de 8% entre 2020 et 2021, a aussi été effectué dans deux fonds d’investissements appartenant pour l’un à la Banque de Règlements Internationaux, à hauteur de 187 milliards FCFA) et, pour l’autre, auprès du Reserves Advisory Management Program (RAMP) de la Banque mondiale, pour 126 milliards.

4. Qu’est-ce que ces différents placements ont apporté à la BCEAO ?

a. Tout d’abord on note que la clôture du compte d’opérations met naturellement fin à sa rémunération. Celle-ci s’élevait à 24 milliards en 2020. Mais comme on l’a vu, ce produit d intérêts du compte d’opérations évoluait déjà à la baisse entre 2019 et 2020. On ne peut donc accuser la clôture du compte d’opérations d’être la cause de cette baisse. D’autres causes sont à rechercher.

b. Cependant, on constate aussi que la perte de la rémunération versée par le Trésor Français à la BCEAO en 2021 a été plus que compensée, d’une part, par la hausse des produits d’intérêts sur les avoirs extérieurs qui passent entre 2020 et 2021 de 60 milliards à 74 milliards soit un accroissement de 14 milliards là où depuis 2019 il y avait baisse de rémunération par la Banque de France; et d’autre part, par les produits d’intérêts sur les titres en portefeuilles qui ont augmenté de 35 milliards entre 2020 et 2021 pour se situer à 65 milliards de FCFA, alors qu’entre 2019 et 2020 ces produits avaient chuté de 11,5 milliards.

 

c. On notera aussi que les produits sur les opérations de crédits liées aux allocations de DTS du FMI aux États membres de I’UMOA dans le cadre de la riposte au Covid-19, ceux sur les opérations de refinancement de la BCEAO et ceux liés aux concours statutaires auprès du système bancaire déjà en baisse depuis 2020 ont poursuivi cette tendance. Tous ces éléments n’ont rien à voir avec la clôture du compte d’opérations. Les différents produits d’intérêts sur les opérations de crédits étaient ainsi passés de 174 milliards en 2019 à 141 milliards en 2020, accusant une baisse de 33 milliards avant même la clôture du compte d’opérations.

Cette baisse a continué entre 2020 et 2021 et explique en partie la compression du compte de résultat.

On peut donc retenir, au vu de l’évolution des produits d’intérêts, que la BCEAO, si elle le veut, peut faire une gestion indépendante de sa trésorerie en devise, sans la tutelle d’un compte ouvert au Trésor Public français et sans les contraintes qui y sont associées.

Dans un contexte de taux d’intérêt nominaux nuls voire négatifs dans les principaux pays de l’OCDE dont les monnaies constituent les avoirs extérieurs de la BCEAO, cette banque centrale pourrait gagner de l’argent si elle adoptait une stratégie judicieuse de gestion de trésorerie qui diversifie ses actifs de portefeuille et les devises dans lesquelles ils sont libellés.

Cependant, dira-t-on, la BCEAO, au-delà des produits d’intérêts, a perdu de l’argent avec les charges sur ses placements financiers après la clôture du compte d’opérations. Et on pourrait même dire que cela expliquerait en partie la perte de 67 milliards en résultat nets d’Intérêts entre 2020 et 2021. Qu’en est-il ?

5) La question des charges d’intérêts

Entre 2020 et 2021 les produits sur les avoirs extérieurs de la BCEAO ont augmenté de 24%. Mais cette hausse est atténuée par la baisse marquée des intérêts reçus sur les devises placées aux FMI (48%) malgré le doublement des montants placés.

Les intérêts et profits latents sur le portefeuille de titres de la a BCEAO étaient en forte progression en 2021 générant 35 milliards de plus qu’en 2020 , une hausse de 121%. Toutefois, les produits de refinancements, en régression de 27 milliards, ont évolués dans le sens inverse, contribuant à un résultat global sur produits d’intérêts en retrait de 6% par rapport à 2020. Le compte de résultat a été affecté de façon plus remarquable, d’une part, par des charges d’intérêts, en très nette progression (+361%), versées par la BCEAO à sa clientèle des Trésors nationaux membres et à d’autres organismes, et d’autre part, par des pertes latentes considérables du portefeuille de titres évaluées par la différence entre leurs coûts d’acquisition et leur valeur réelle à la date de clôture des comptes de la BCEAO.