Les jeux de hasard au Togo : Un phénomène de société qui fait des ‘’heureux gagnants’’ et des ‘’malheureux perdants’’

 

 

 Si les jeux de hasard sont considérés dans leurs sens propres comme des activités de divertissement et de loisir, certains parieurs en ont fait un moyen rapide pour eux, d’accéder à la richesse matérielle et à une situation sociale enviable.

 

 

 

Il suffit de faire un tour devant les agences et points de jeux de la Loterie Nationale Togolaise (LONATO) tous les lundis, mercredis, vendredis et samedis pour se rendre compte de l’engouement que suscitent les jeux de hasard auprès des Togolais. Les parieurs ne tarissent pas d’éloges et ne manquent pas de qualificatifs pour apprécier ce sport qui ruine certains et enrichie d’autres. Un fanatisme qui vire parfois à l’addiction. Reportage au cœur du phénomène des jeux de hasard au Togo.

 

Au Togo, c’est la Loterie Nationale Togolaise (LONATO), une société d’État à gestion privée qui détient le monopole de l’organisation et de l’exploitation des jeux de hasard. Cette société offre à ses clients, quatre différents types de produits à savoir : le Loto 5/90, des paris sportifs (Lotosport et Parifoot), du PMU’TG (tiercé, quarté et 4+1) et des tickets à grattage (sourire, ZEM et TCE). Parmi ces gammes de produits, la famille des 5/90 est la plus prisée. Elle attire de nombreux clients chaque semaine.

 

 

Il s’agit de Loto Benz qui a lieu tous les lundis depuis 1990, de Loto Diamant qui se déroule tous les mercredis depuis 2001, de Loto Kadoo qui est organisée tous les vendredis depuis 2008 et de Loto Sam, tous les samedis depuis 2017.

 

Les clients sont appelés à faire une mise minimale de 300 F CFA. Cinq (5) numéros sont tirés sur les 90 premiers nombres et les gagnants sont ceux qui ont misé sur ces numéros dans l’ordre ou dans le désordre. Le parieur peut gagner jusqu’à quarante-cinq mille fois la mise, si les cinq numéros gagnants sont trouvés dans l’ordre. En français facile, une mise de 300 F CFA sur deux numéros gagnants peut rapporter jusqu’à 750 000 F CFA, avec la même mise sur trois numéros, le parieur empoche la somme de 750 000 F CFA, etc.

 

 

Un secteur très rentable

 

La LONATO, surnommée « La Maison de la Chance » fait depuis 1990, des heureux gagnants, de même que des « malheureux » perdants au regard de l’engouement qui s’empare des parieurs à chaque tirage.

 

« La majorité des parieurs passent à côté du jackpot, puisqu’il s’agit d’un jeu de hasard. Nul ne détient le secret des combinaisons pour connaître exactement les numéros qui seront tirés ainsi que l’ordre dans lequel les numéros vont sortir de la machine. Alors tout le monde se jette les jeux fermés avec l’espoir d’être le plus chanceux de tous. Et pour gagner, il faudra jouer beaucoup et surtout permuter ses numéros. Du coup, nous ne gagnons que quelques billets et moi j’appelle souvent ça « la monnaie » de ce que nous avons joué depuis des années », confie Serge à l’Agence de presse AfreePress.

 

 

 

Selon les indiscrétions, la société réalise au moins 500 millions de FCFA de recette à chaque tirage soit, deux (2) milliards de F CFA la semaine.

 

Des jeux basés sur des pronostics

 

D’après les spécialistes, les jeux de hasard sont basés sur des pronostics.

 

« Les loteries de la famille 5 sur 90 sont étroitement liées aux pronostics. C’est-à-dire, 99% des paris sont basés sur des pronostics. Il est rare de trouver un parieur qui se lève pour aller jouer ou miser sur des numéros pris au hasard. Quand on prend les numéros de façon aléatoire, c’est soit des numéros tirés des rêves, des dates d’anniversaire, d’un événement particulier ou d’un fait insolite. La plaque d’immatriculation d’un véhicule impliqué dans un accident, on en trouve, mais c’est rare. Et si les parieurs ne devraient choisir de parier qu’en se fondant sur ces évènements que je viens de citer, il y a longtemps que la LONATO aurait mis la clé sous la porte », a confié, un développeur d’application dédiée aux jeux de hasard et basé à Lomé.

 

Ils sont des milliers à s’adonner à ces jeux au point de perdre tout sens de la réalité et de s’appauvrir.

 

« Tout parieur est un fidèle des quatre jeux. Il n’y a pas un qui joue au Loto Diamant et ne tente pas les autres. Ceux qui viennent ici sont des hommes et des femmes fonctionnaires ou particuliers… Mais la majorité de mes clients, ce sont des particuliers. Nous cherchons tous de l’argent, donc peut-être, ceux qui viennent jouer ont confiance et rêvent de gagner au loto pour devenir riche. Je ne peux pas dire que la loterie n’est pas une bonne chose… C’est un jeu et il doit y avoir des gagnants et des perdants. Au même moment que nous, on fait nos recettes, des gens gagnent d’importantes sommes d’argent chaque semaine », a confié M. Ayawovi, commissionnaire (colleteur) de la LONATO à Sagbado (Adidogomé).

 

Parmi les adeptes des jeux de hasard, la palme d’or revient aux conducteurs de taxis-motos (les Zémidjan). Malgré leur métier qui leur rapporte très peu de moyens, ceux-ci ne s’embarrassent pas de miser toute leur économie sur des numéros aléatoires et tirés du hasard.

 

 

 

C’est le cas de Joseph, conducteur de taxi-moto depuis 2012 et habitant à Lomé. « Ma première fois, c’était lorsque j’ai commencé ce métier en 2012. Un ami conducteur aussi venait de gagner 350 000 F CFA et les numéros qu’il a joués étaient ceux d’un véhicule impliqué dans un accident de circulation. Il m’a convaincu et j’ai aussi commencé. J’ai gagné plusieurs fois, mais pas assez pour changer ma condition de vie. À de ce jeu, j’ai eu des problèmes avec les propriétaires de mes motos. Je ne versais régulièrement plus leur argent. Donc plus de quatre motos m’ont été retirées. Et c’est moi qui perdais parce que je versais au moins la moitié de l’argent du contrat de la moto qui devrait être mienne à la fin. Après plus de 5 ans, j’ai pris conscience. Même si je n’ai pas abandonné totalement la loterie, la grande partie de ce que je gagne, je fais de la tontine avec et aujourd’hui, c’est ma propre moto que je conduis », a-t-il indiqué.

 

D’autres n’aiment pas en parler et préfèrent entretenir au calme ce péché mignon. « Je ne sais pas pourquoi ce que je fais avec mon argent vous intéresse. C’est ma vie et ça ne vous regarde pas », a lancé en vernaculaire (Ewé), un conducteur de taxi-moto rencontré devant un point de jeux à Nukafu (commune du Golfe 2).

 

 

 

Pour Maxim Eklou, un autre conducteur rencontré au même endroit, jouer à la loterie, c’est tenter de s’en sortir de la précarité engendrée par le chômage et le sous-emploi.

 

« Si j’avais un travail bien rémunéré, est-ce que je serais ici en train de jouer à ce jeu ? Ça ne va pas dans le pays. En jouant à la loterie, je me dis qu’un jour, je vais gagner une somme conséquente et ouvrir mon propre atelier. J’ai appris la menuiserie aluminium. Les machines sont très chères, vous voyez non. Alors j’ai décidé de faire le zémidjan en attendant et heureusement que c’est ma propre moto. Donc, avec la LONATO, je compte gagner et lancer mon activité. Des fois, je gagne donc je tente toujours ma chance », a-t-il indiqué.

 

 

 

À l’issue d’une petite enquête menée devant plusieurs points de jeux de la capitale, seulement trois (3) personnes sur une vingtaine interrogées ont affirmé avoir gagné à la loterie au cours des 30 jours passés.

 

Le premier, conducteur d’une voiture taxi dit avoir remporté la somme de 750 000 F FCA et le second, un conducteur de taxi-moto a déclaré avoir remporté 250 000 FCFA. Un autre précise avoir lui aussi gagné 75 000 FCFA. Mais ces parieurs ont avoué avoir misé durant des années, plus que la somme remportée.

 

 

« Sans mentir, j’ai joué le jour-là au moins 8 000 FCFA. Le plus dingue de tout ça, c’est que si tu gagnes les prochains jours, tu vas tenter de miser gros. Par exemple lorsque moi, j’ai gagné les 750.0000 f, c’était un mercredi. Le vendredi, j’ai joué jusqu’à 13 000 F CFA, je n’ai rien gagné. Le samedi, j’ai joué environ 9 000 F CFA. Pour rentabiliser l’argent de la LONATO, il faut avoir sous la main un projet sinon, c’est la société qui va tout te le reprendre. C’est comme il y a quelque chose qui te pousse à jouer chaque jour. Mais moi, je ne joue pas si je n’ai rien. Il y en a qui misent même avec le peu qu’ils devraient prendre pour nourrir leur famille le soir. C’est mon propre taxi donc après avoir fait les comptes, ce qui reste, c’est avec ça je joue des fois et je vous assure que ce sont les numéros de ma plaque que je joue », affirme M. Kokou, un conducteur de taxi.

Les jeux de hasard, un passe-temps pour certaines femmes de la capitale

 

Les femmes sont de plus en plus attirées par les jeux de hasard et ce n’est plus un secret. Comme les hommes, elles ne ratent aucun tirage de la LONATO même si leur participation aux jeux semble avoir une limite.

 

« Je joue ça occasionnellement. Si je n’ai pas d’argent, je ne joue pas. Mais, des fois, c’est le jour que tu ne joues pas que tes numéros vont sortir. Mais cela ne me pousse pas à jouer régulièrement, car je risque de jeter l’argent de mon commerce si je prends cette habitude. Imaginez que je joue chaque jour comme mon mari… C’est la maison qu’on finira par vendre… », a laissé entendre Mme Essivi, commerçante au marché d’Adidogomé.

 

 

 

Si Madame Essivi a pris conscience du danger que représentent ces jeux de hasard pour elle, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Le peu d’économie qu’elles ont sous la main, voire l’argent qui devrait servir à préparer le repas du soir, est parfois jeté dans les caisses de la LONATO.

 

Blandine, responsable d’une boutique de prêt-à-porter avoue être victime de cette faiblesse.

 

« J’ai voulu une fois imiter mon mari qui joue au loto. Il m’a donné l’argent pour préparer la nourriture moi, j’ai aveuglement joué avec et c’est un collecteur ambulant qui m’a induit dans ça. Il m’a dit de mélanger les numéros, qu’au moins, je pourrais gagner quelque chose, mais zéro, vous pouvez imaginer la soirée. J’ai dû mentir que j’ai perdu l’argent. Depuis ce jour, j’ai juré ne plus jouer et je préfère gagner de l’argent dans ma boutique et épargner », a-t-elle confié.

 

 

 

Si la chance est avec certains, d’autres s’en sortent difficilement après s’être jeté dans les jeux de hasard. Des milliers de familles subissent chaque jour, les retombées négatives de ces jeux.

 

C’est le cas de Dagan, mère de deux enfants rencontrée au quartier Segbé (Golfe 7). Celle-ci ne passe pas sous silence le plus gros problème de son couple.

 

« Moi non, je ne joue pas à ces jeux. C’est un jeu qui te plonge plus dans la misère. Mon mari est mécanicien. Avant, on était bien, on mangeait bien. À un moment donné, ce qu’il nous donne à la maison a considérablement diminué. De 2000 f par jour, on est arrivé à 300 F CFA. Et des fois, il ne donne rien. Quand je lui pose la question, il me répond qu’il n’y a pas de travail. En tant que femme, je ne peux pas laisser mes enfants donc je fais tout pour qu’on trouve quelque chose à manger. Et quand il revient, il mange aussi ce que je prépare. Le pire dans tout ça, c’est qu’à chaque fois que je lave ses habits, je trouve des papiers de la LONATO. Et quand je fais la somme de ce qu’il joue des fois, ce n’est pas moins de 5 000 F CFA par jour. Quand, j’ai voulu en parler, cela est devenu une bagarre dans la maison. À cause de ce jeu, rien ne va plus chez moi. C’est ce que je vends devant ma porte qui me sauve », confie la jeune dame au micro d’AfreePress.

 

 

 

L’attirance pour la LONATO n’épargne pas la jeunesse. C’est souvent de jeunes enfants qui sont envoyés par leurs parents pour jouer au loto. Des jeunes qui finissent par adopter eux aussi cette habitue et n’hésitent pas à jeter dans des paris avec toutes leurs conséquences dévastatrices.

Au Togo, il n’y a pas que les jeux de la Lonato. Il existe d’autres jeux de hasard comme le Parifoot, les casinos et les différentes loteries du Ghana.

 

 

 

S’agissant des jeux organisés dans ce pays voisin du Togo, les parieurs doivent s’adresser à des collecteurs qui mènent illégalement leurs activités sur le territoire togolais. Ils sont communément appelés « agents de BIBI » et sont souvent traqués par la police. « Ceux qui font BIBI mènent des activités illégales. Parce que ce n’est plus une société étatique ni du Togo ni du Ghana qui organise. Les paris sont faits chez ces agents de BIBI lorsqu’il y a un tirage au Ghana et c’est au collecteur de payer, si un parieur venait à gagner les numéros tirés au Ghana. Parfois, ces collecteurs disparaissent avec les fonds des gens lorsqu’ils se retrouvent dans l’incapacité de payer les gagnants », confie Samuel, un collecteur de la LONATO.

 

Des jeux pathologiques, parlons-en !

 

Selon les spécialistes, les caractéristiques d’un joueur à problème sont multiples. Il joue et rejoue pour obtenir l’argent perdu. Il peut emprunter ou vendre un bien pour jouer au jeu de hasard et est toujours stressé et angoissé lorsqu’il joue. Il joue parfois de façon compulsive sans se soucier de la quantité d’argent perdu et dépense plus d’argent pour son jeu que pour sa famille. Il est un menteur compulsif et passe son temps à cacher ses activités à sa famille et à ses amis et enfin, il n’arrive pas à se contrôler et se corriger…

 

D’où vient la dépendance au loto ?

 

Pour une Psychologue rencontrée par l’Agence de presse AfreePress et qui a requis l’anonymat, l’addiction aux jeux, encore appelée la ludopathie se développe habituellement après une mise répétée du joueur avec l’idée, qu’un jour, il finira par gagner.

 

 

« Cela se manifeste par : un désir fort de jouer au jeu, une mise persistante même si cela cause des dommages (personnel, endettement, demande d’avances sur salaire, etc.). Les conséquences sont énormes. La personne résume sa vie aux jeux et ne s’offre plus d’autres plaisirs. Elle rencontre régulièrement des problèmes financiers, des conflits conjugaux, la dépression, l’anxiété, et des troubles de l’humeur. Elle va se sentir frustrée lorsqu’elle tentera d’abandonner le jeu, l’impulsivité à jouer de nouveau, et la dépendance financière referont surface. L’addiction aux jeux se traite tout comme les autres types d’addiction. Si le parieur n’y arrive pas seul, il peut demander de l’aide aux professionnels du traitement de la toxicomanie. Tandis que les jeux peuvent constituer un passe-temps pour certaines personnes, ils peuvent être nocifs pour d’autres qui en sont devenus addictifs. À chacun de savoir le rôle que cela joue dans sa vie. Si c’est néfaste, ils peuvent demander de l’aide », a-t-elle confié.

 

Même si l’État est impliqué directement dans ce secteur, ses responsabilités vis-à-vis des populations qui s’adonnent aux jeux sont minimisées.

 

« Aucune mesure d’éducation » n’est développée ni mise en place au Togo pour conscientiser la population sur le danger lié aux jeux de hasard, comme c’est le cas dans d’autres pays à l’instar du Burkina Faso où la Loterie Nationale du Burkina (LONAB) a mis en place selon les informations, un ensemble de mesures d’éducation du joueur dénommé « le jeu responsable », dont le but est de lutter contre le développement des habitudes excessives de jeu.

 

 

Ne serait-il pas bien de faire comprendre aux populations, que s’adonner de façon incontrôlée aux jeux de hasard est dangereux pour soi et la société ? Le Togo, dispose-t-il d’unités de soins dédiées au traitement des joueurs pathologiques et qu’est ce qui est fait pour sensibiliser les acteurs sur les dangers de ces jeux et surtout protéger les mineurs ? Voici autant de questions que nous soulevons dans ce dossier après avoir été au contact des parieurs.

 

 

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