Jean-Pierre Fabre, détrôné par Agbéyomé Kodjo de son statut « d’opposant numéro un » à l’issue de l’élection présidentielle togolaise de février, espère parvenir à remobiliser ses troupes une fois la crise sanitaire passée.
C’est un K.-O. qui aurait pu lui être fatal, mais dont il pourrait finir par se relever. Affaibli certes, mais toujours là. Arrivé en troisième position derrière le président sortant, Faure Gnassingbé, et derrière l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo, Jean-Pierre Fabre a essuyé une défaite cinglante à l’issue de l’élection présidentielle du 22 février.
Les résultats officiels l’ont crédité de moins de 5 % des suffrages, alors qu’il en avait recueilli 33 % en 2010 et 35 % en 2015. Un véritable désaveu pour ce vétéran de l’opposition togolaise qui avait cru pouvoir surfer sur le mécontentement qui s’était exprimé dans la rue fin 2018 et qui, une semaine avant le scrutin, promettait encore à ses militants de leur « ramener victoire ».
Tétanisé par ce revers, le leader de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) a d’abord gardé le silence, pansant ses plaies à l’abri des regards. Lui que l’on a si souvent décrit comme « intransigeant » a observé Agbéyomé Kodjo, l’ancien pilier du parti au pouvoir, revendiquer la victoire et s’enferrer dans la voie de la contestation électorale, se contentant de plaider en faveur du respect des droits de l’accusé.
Quand a-t-il compris que l’obstination de son rival pouvait lui redonner une chance ? Que, même s’il ne les a pas souhaités, les démêlés judiciaires de l’ancien Premier ministre, accusé notamment d’atteinte à la sûreté de l’État, pouvaient redistribuer les cartes au sein d’une opposition désunie ? Difficile à dire. Mais alors que la partie semblait pliée et que les résultats de la dernière élection paraissaient consacrer Agbéyomé Kodjo comme le nouveau visage de l’opposition, Jean-Pierre Fabre tient peut-être là l’occasion de revenir.
Envies de revanche
Lui-même ne souhaite pas s’exprimer officiellement, pas avant que le bureau politique de l’ANC n’ait formellement défini sa stratégie, explique un membre de son entourage. Mais le parti ne cache plus son désir d’occuper l’espace laissé vacant et de se repositionner sur le devant de la scène. Il a des envies de revanche même si, pandémie de coronavirus oblige, il doit pour l’instant se contenter de rencontres en petits groupes au sein des fédérations locales.
L’objectif ? Parvenir à remobiliser les troupes, ramener les déçus au bercail et, dès que les conditions sanitaires le permettront, « organiser un meeting de grande ampleur », comme l’explique à Jeune Afrique un proche du chef de l’ANC. « Notre engagement aux côtés des populations sera encore plus intense qu’auparavant », ajoute-t-il, précisant qu’une « stratégie de reconquête » est en cours de construction.
En coulisses, plusieurs cadres du parti expriment leur amertume vis-à-vis d’Agbéyomé Kodjo, investi “candidat unique” de la coalition des Forces démocratiques, le 31 décembre dernier, et vis-à-vis de celui qui fut son plus fervent soutien, Mgr Philippe Kpodzro, archevêque émérite de Lomé.
« Les discours qui ont consisté à diaboliser un candidat, en parlant de sa supposée radicalité, l’indifférence de la communauté internationale et le rôle qu’a exercé un religieux au cours de cette période ont fait reculer notre lutte, lâche Patrick Lawson, vice-président de l’ANC. Les populations, au lieu de se battre pour des élections transparentes, ont remis leur sort entre les mains du Saint Esprit ! »
« Les militants et les responsables des partis de l’opposition sont convaincus que, pour accéder au pouvoir, il faut un candidat unique, décrypte le politologue Senyéebia Yawo Kakpo, enseignant-chercheur en sciences juridiques et politiques à l’Université de Kara. D’une certaine manière, Jean-Pierre Fabre, qui a choisi de faire cavalier seul dès octobre 2019, a été victime de ce dogme.”
« Refuser le découragement »
Pour Fabre, il ne pouvait y avoir de candidature unique que la sienne. « Il a eu un raisonnement arithmétique, poursuit Senyéebia Yawo Kakpo, en référence à l’ancrage national et au nombre de militants que revendique l’ANC même si, pour avoir boycotté les dernières législatives, le parti n’a plus de députés à l’Assemblée nationale. De facto, il a été victime de ce présupposé erroné.”
« Nous ne nous plaignons pas des résultats de l’élection présidentielle, nous en avons tiré des leçons, assure Patrick Lawson. Nous devons définitivement comprendre qu’au Togo, seul le peuple compte. L’alternance au pouvoir ne s’accomplira pas parce que tel ou tel candidat est détesté par l’armée ou soutenu par la communauté internationale. Les pères de l’indépendance n’ont compté que sur leurs propres forces. Et ils ont réussi. »
Le 27 avril, Jean-Pierre Fabre est sorti du silence qu’il s’était imposé pour un court discours prononcé à l’occasion de la fête de l’indépendance. Exhortant ses troupes à « refuser le découragement », il a dénoncé une présidentielle « identique aux autres, avec son lot d’achats de conscience, de violences de toutes sortes, de bourrages d’urnes et de falsifications de procès-verbaux ». Mais en attendant le « sursaut patriotique » qu’il appelle de ses vœux, l’ANC va devoir faire la preuve de ses capacités de (re)mobilisation. Et là, tout reste à faire.
Source: Jeune Afrique