Sommet de Paris : Quid des entreprises Africaines exclues?

 

 

 

 

Didier Acouetey, on ne vous présente plus mais vous êtes, entre autres qualités, le président du Groupe AfricSearch, chroniqueur vedette sur RFI et membre du Club Objectif Afrique Avenir O2A. Je dirais que vous êtes à la jointure des entrepreneurs qui bâtissent l’Afrique de demain des acteurs internationaux qui observent et accompagnent l’Afrique. Rares sont les acteurs qui appréhendent autant les approches à la fois micro et macro-économiques de l’Afrique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première question : cette Conférence sur le financement des économies africaines n’aurait-il pas dû se tenir en Afrique ?

Symboliquement oui. Cependant, la dette globale du continent estimée à 1800 milliards de dollars étant détenue pour moitié par des créanciers étrangers, multilatéraux, bilatéraux ou privés, cela devient en soi un problème international. Donc pourquoi pas en débattre en Europe.

 

 

 

 

 

Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ?

Pour être sincère, je doute que ce type de grand-messe politique puisse apporter les réponses attendues. Les raisons de mon scepticisme sont profondes. Je ne veux pas être l’avocat du diable mais le diable est dans les détails…

 

Pourquoi ?

Parce le Sommet souffre d’une anomalie fondatrice : trop d’acteurs stratégiques manqueront à l’appel à Paris. Tout d’abord, une bonne partie de cette dette est détenue par des créanciers privés, contrairement aux années 80 et 90 où elle était essentiellement publique. Or ils seront absents à Paris. Ensuite, l’Afrique est assise sur 1 000 milliards de dollars de ressources directes : les fonds de pension, notamment les caisses de retraite en Afrique en gèrent 200 milliards, les fonds souverains, plus de 150 milliards. Pourquoi ne sont-ils pas invités à Paris pour parler également des solutions endogènes ?

Autres absents : les entreprises privées qui font tourner l’économie africaine. Il est utile de rappeler que les PME et TPE constituent 90% du secteur privé. Quel paradoxe d’avoir pléthore d’acteurs publics africains et internationaux débattre d’une dette dont une part des détenteurs et ceux qui devraient en être les principaux bénéficiaires sont absents. C’est comme si on construisait un hôpital en mettant dans les chambres les bailleurs de fonds plutôt que les malades. On voit bien la contradiction.

 

 

 

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En quoi les entreprises africaines seraient-elles concernées par les enjeux du Sommet de Paris ?

Parce qu’elles souffrent du manque de capitaux ou de financements pour assurer leur développement. Avec la crise du Covid, qui est le motif de départ à la réunion du Sommet de Paris, la situation financière de ces entreprises s’est aggravée. 

Je vais vous donner trois exemples : au Mali, un acteur de l’hôtellerie comme le groupe Azalaï dans le secteur du tourisme et qui est présent dans 5 pays en Afrique bénéficiera-t-il de mesures concrètes issues des décisions de Paris ? Sodigaz, distributeur de gaz au Togo et au Burkina Faso, sera-t-il soutenu lui aussi ? Sifca, la plus grande entreprise privée de Côte d’Ivoire trouvera-t-elle des solutions de financement ? Derrière ces entreprises, il y a des investisseurs locaux et régionaux qui jouent pourtant un rôle stratégique dans le moteur de la croissance africaine.

 

 

 

Mais ne sont-ce pas les dirigeants des États africains eux-mêmes qui empêchent les entreprises locales et régionales de bénéficier de ces financements et de participer à ces discussions pourtant décisives ?

C’est en partie vrai : tant que les financements passeront par les États, les acteurs privés n’en verront pas la couleur ! Les enjeux de gouvernance sont évidemment décisifs. On le sait, les dirigeants africains ignorent les acteurs du secteur privé, en particulier dans les pays francophones. Mais la communauté internationale nous donne la même impression au vu des participants du Sommet de Paris. Je le répète, les bailleurs de fonds internationaux vont parler de l’économie africaine sans inviter les entreprises qui font vivre l’économie africaine et qui devraient être les principaux bénéficiaires des mesures de refinancement de la dette.

 

Le Sommet de Paris devait au départ mobiliser les États africains et les États membres du G20. Il a été fortement élargi, notamment à la Chine. Un nouveau prédateur sur le continent africain ?

Je serais plus nuancé. Car à l’instar de l’Éthiopie, les prêts chinois ont été accompagnés de projets industriels. On peut critiquer la Chine mais on a vu de nombreuses infrastructures sortir de terre en Afrique ces quinze dernières années : routes, aéroports, chemins de fer, zones économiques spéciales, notamment. Mais les conditions de ces financements ne sont pas moins critiquables car la Chine devient détentrice de ces infrastructures lorsque les États africains font défaut. Et les contreparties en matières premières contre ces projets sont souvent des contrats léonins.

Ensuite, les 150 à 200 milliards de dollars de la dette africaine détenus par la Chine sont proposés en général à des taux concessionnels très faibles avec des différés de 3 à 5 ans. L’astuce des Chinois, le piège, est que lorsque les projets se mettent en place, les entreprises chinoises opératrices des projets apportent des financements complémentaires aux États à des taux du marché. Quand vous analysez les dossiers, ils coûtent au final entre trois à six fois plus chers à l’Afrique que ceux réalisés en Chine. C’est assez surprenant. La Chine cache ces taux différentiels avec une absence de transparence totale dans l’exécution des contrats.

 

 

 

L’idée de financer non la dette des États mais des projets structurants et valorisants fait son chemin. Qu’en pensez-vous ?

En effet, l’idée est bonne. L’industrialisation de l’Afrique doit demeurer une priorité : si avec les partenaires internationaux, le New Deal financier annoncé à Paris consistait à encourager l’industrialisation portée par des industriels africains avec des partenaires internationaux sur la base de financements – projet, cela commencerait à devenir intéressant.

Certains pays ont déployé une approche industrielle forte en mode financement projet. C’est le cas de l’Éthiopie avec les financements chinois qui ont permis la construction de parcs industriels et de créer des emplois, d’observer un début de semi-industrialisation et d’économie manufacturière. Y a-t-il un seul exemple de zones industrielles d’envergure réalisées en Afrique occidentale francophone ?

Enfin, encore faudrait-il que les taux d’intérêts pratiqués soient plus proches de la réalité du risque africain : lorsque les pays européens se financent par exemples à 0,5%, voire à des taux négatifs, l’Afrique s’endette à des taux de quasi-usure de 7% à 10%. Le pire, est que ces financements vont peu vers des secteurs productifs, mais utilisés pour financer les déficits courants et budgétaires. Enfin, ces ressources sont gérées dans la plus grande opacité, dans des conditions de gouvernance très discutables avec une faible traçabilité des ressources.

 

 

 

A vous entendre, on a l’impression que les chefs d’États vont parler financement sans se poser la question suivante : mais au fait, que devons-nous financer ?

C’est vrai. Ont-ils seulement une vision du développement économique de l’Afrique ? Je ne donnerai qu’un exemple…. Pourquoi ne pas mettre sur la table des financements conséquents pour développer les complémentarités industrielles entre pays de la région Afrique de l’Ouest ou de l’Afrique centrale sur la base des avantages différentiels de chacun. Pourquoi la Côte d’Ivoire et le Ghana ne deviendraient-ils pas avec le café et le cacao le pôle agro-alimentaire du sous-continent. Le Nigeria, un géant de automobile et l’industrie pharmaceutique de la région ? Avec son port en eau profonde, le Togo pourrait devenir le Singapour de la région. Mais cette stratégie régionale suppose concertation et mobilisation de tous les acteurs avec des programmes de levée de ressources au niveau régional, via des véhicules ad’hoc, soutenus par les Souverains internationaux qui permettraient d’obtenir des taux d’intérêts raisonnables.

 

Depuis des années, notamment sur RFI, vous donnez des conseils aux jeunes entrepreneurs africains qui créent des entreprises. Ces jeunes n’ont donc rien à attendre de ce Sommet ?

Non, rien. Et c’est bien dommage car ces jeunes sont les autres oubliés de Paris et de la croissance africaine. Ces jeunes ne bénéficient pas d’un niveau de formation qui leur permettrait d’accéder au marché de l’emploi. On ne crée pas des centres de formations professionnalisantes qui leur permettraient d’accéder à des métiers. Ils ne bénéficient pas non plus de plans d’accompagnement à l’entrepreneuriat et de soutien en matière de financement à la création ni pour leur développement !

 

 

 

On nous rétorque souvent qu’ils sont dans l’économie informelle (notons au passage que seules 20% des entreprises ont accès aux financements formels dans la plupart des pays en Afrique). Je refuse cet argument car avec un taux de pénétration du téléphone mobile de plus 70% dans de nombreux pays en Afrique, et l’obligation d’être identifié par les opérateurs pour utiliser la ligne, les États doivent pouvoir tracer et identifier ces populations jeunes.

Donc avec les néobanques utilisant les opérateurs téléphoniques, ils pourraient bénéficier de financements locaux, régionaux et internationaux.

 

 

 

 

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