Sommet France-Afrique: sortir l’Afrique de sa grande nuit?

 

 

 

Dans quelques semaines, aura lieu le 28em sommet de la France-Afrique à Montpellier. Dans leur nouveau numéro de « Cité au quotidien » intitulé « Montpellier pour sortir de la grande nuit », les deux universitaires Maryse Quashie et Roger Folikoué se prononcent sur les sulfureuses relations qu’entretienne la France avec les pays Africains. Les deux acteurs de la société civile togolaise se demandent si ce sommet de Montpelier sera l’occasion pour « sortir l’Afrique de la grande nuit ». Lecture.

 

 

 

MONTPELLIER POUR « SORTIR DE LA GRANDE NUIT »

Le sommet France-Afrique prévu pour le mois de juillet à Montpellier, dans le midi de la France, aurait pu ravir la vedette à la situation au Tchad, s’il n’y avait pas un acteur commun au cœur de ces deux événements, la France, en l’occurrence celle d’Emmanuel MACRON, cette France qui promet l’inédit depuis 2017. Ce sont les Français qui doivent en définitive répondre à la question de la réalité de la “révolution” macronnienne. Cependant nous les Africains qui sommes habitués à ce que chaque nouveau président français nous annonce qu’avec lui disparaitra la nébuleuse de la Françafrique, nous nous demandons si le moment est enfin venu.

 

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En effet, la Françafrique n’a pas souffert de l’arrivée au pouvoir de la gauche (en 1981) avec François MITTERAND qui était gentiment venu saluer son ami GNASSINGBE Eyadema dès janvier 1983. Voici ce qu’il affirmait dans la conférence de presse donnée le 15 janvier 1983 : « Je peux dire que les échanges de vues, qui ont naturellement servi de toile de fond à ce voyage, sont prometteurs non seulement pour l’avenir, mais même pour le présent. »

 

 

L’avenir lui a donné raison avec le voyage triomphal de François HOLLANDE au Mali en 2016, les multiples séjours de Ségolène ROYAL et la réhabilitation de Dominique STRAUSS-KAHN, devenu conseiller de chefs d’Etat Africains. La France de droite, elle, ne renie pas les multiples amitiés africaines de Jacques CHIRAC, ni les relations de Nicolas SARKOZY avec BOLLORE, omniprésent dans les affaires de corruption à grande échelle en Afrique de l’Ouest. Bref, personne n’a mis fin, ni même mis en danger la Françafrique.

 

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Apparemment ce n’est pas l’avis de l’intellectuel camerounais Achille M’BEMBE. En effet M’BEMBE interviewé dans Le Point du 27 avril 2021, affirme à propos d’Emmanuel MACRON que « comme la plupart de ces prédécesseurs, il a exprimé, dès son arrivée à l’Élysée, le désir de renouveler les rapports entre son pays et l’Afrique. A la différence de ceux qui sont passés avant lui, il a posé une série de gestes. (…) On ne peut pas dire qu’il est resté les bras croisés ». Etrange argument ! Le fait de faire quelque chose suffit-il pour prouver le désir de changement de MACRON, un changement qui aille dans le sens du bien des Africains ?

 

 

 Il suffit de prendre l’exemple de la rencontre avec les jeunes à Ouagadougou, en novembre 2017. Il a fallu d’abord se rendre compte que les étudiants, qui avaient été préparés pour cette rencontre par les autorités Burkinabè, n’étaient guère représentatifs de la jeunesse burkinabè, 2 et par conséquent encore moins de la jeunesse africaine : on n’a guère entendu des propos marqués de révolte, ou de ce sentiment anti-français dont il est tant question ces derniers temps. Et ensuite, qu’est-ce qui a changé pour les Africains dans les relations France-Afrique après cette rencontre, puisque les présidents mal élus sont toujours soutenus par le pouvoir français, puisque l’appui au CMT du Tchad a été très spécial ?

 

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Les positions d’Achille M’BEMBE, choisi par la France pour organiser la rencontre de Montpellier, ne manquent pas d’en étonner plus d’un. L’intéressé lui-même trouve ce choix normal « J’imagine, dit-il, que le président voulait quelqu’un de crédible. Ni complaisant, ni obséquieux, ni cynique. Quelqu’un qui serait capable de dresser des constats nouveaux parce qu’il en faut, mais aussi passer de la critique à des propositions, car c’est de cela que nous avons le plus besoin en ce moment. »

 

 

Beaucoup ont du mal à retrouver dans ce profil la personne qui proclamant à propos de la Françafrique, que « le temps est venu de tirer un trait sur cette histoire ratée », affirmait : « Il ne faut pas s’attendre à ce que cette rupture vienne de l’Elysée. Ni Nicolas SARKOZY ni aucun autre dirigeant de droite comme de gauche n’y mettront fin de leur plein gré. C’est aux forces sociales africaines d’imposer la rupture avec le système de corruption réciproque, ou alors il perdurera. » (in Sortie de la grande nuit)

 

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Si ce n’est pas l’homme M’BEMBE qui a changé, alors quels sont les éléments de la situation actuelle qui permettraient d’attendre mieux de la rencontre de Montpellier que de tous les sommets France-Afrique, que du rendez-vous manqué de Ouagadougou ? Dans son ouvrage Sortir de la grande nuit, dont le sous-titre précise que c’est un essai sur l’Afrique décolonisée, Achille M’BEMBE affirmait que « c’est la réticence à transformer ce passé commun en histoire partagée qui explique l’impuissance de la France à penser la postcolonie. » (p.71)

 

 

Aujourd’hui la France aurait-elle acquis cette compétence ? Comment ? Et surtout en quoi montre-t-elle qu’elle peut penser la postcolonie ? Serait-ce là une piste de la sortie de la grande nuit ? Curieuse piste, non ? Nous laissons Achille M’BEMBE avec sa conscience, mais nous reconnaissons cependant avec lui que l’Afrique doit sortir de la nuit. Cependant depuis quand a-t-on vu quelqu’un sortir de chez lui en pleine nuit pour aller demander des solutions et de l’aide à celui dont il doute de l’amitié ?

 

 

Si cette personne fait partie de ceux qui vous ont plongés dans l’obscurité, et si elle se présente à votre porte aurez-vous la naïveté de supposer qu’elle n’a que des bonnes intentions ? Il faut bien que nous nous rendions compte que la France dont le destin dépend de l’Afrique a tout intérêt à participer à toute initiative de réflexion sur la construction d’une nouvelle Afrique et cela Achille M’BEMBE le reconnait avec une certaine objectivité, il faut le dire. Pour autant est-ce la France qui doit diriger cette réflexion ?

 

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On a vu ce que visait le Discours de la Baule et surtout ce qu’il a donné : le maintien de régimes brutaux et prédateurs. Pourquoi refuser de lire dans ce que MACRON veut faire à Montpellier, la suite naturelle de la Baule, un toilettage qui rend la Françafrique plus acceptable ? 1 Achille M’BEMBE, 2013, Sortir de la grande nuit, Paris, Découverte 3 De fait, l’après Discours de la Baule, visait, à travers les rencontres avec les chefs d’Etat africains, à orienter le futur sociopolitique des pays africains, mais rencontrer les jeunes puis les intellectuels, n’est-ce pas une tentative pour la France de MACRON, de mettre la main sur l’avenir de l’Afrique, d’abord à Ouagadougou à travers ses forces vives qui représenteront plus d’un milliard d’individus d’ici à 2050, puis à travers sa force de pensée, les intellectuels, à Montpellier en juillet 2021 ?

 

 

La question à se poser est de savoir quelle pourrait être la réponse de ces intellectuels ? A Achille MBEMBE qui, après avoir reconnu l’inertie de la gauche française et des écologistes, dit observer le même vide de pensée à long terme du côté africain, nous n’avons qu’une question à poser : comment expliquer l’exil de tant d’intellectuels, exil en terre étrangère, lorsqu’on craint pour sa vie, ou exil interne de celui qu’on empêche de se faire entendre, de celui qu’on bâillonne ? A tous ces intellectuels, il ne reste qu’un choix, celui de se mettre ensemble pour lancer un défi : « Donnez-nous les mêmes moyens financiers et médiatiques que ce qui est prévu pour Montpellier et vous verrez s’il y a un vide de pensée en Afrique ! »

 

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